27 février 2015

Tout vient à point


On n'y pense qu'assez rarement et le constat ne fait généralement que nous effleurer juste en passant. S'y arrêter trop longtemps serait comme effleurer un mystère ou surprendre un secret que nous n'aurions pas à connaître. Il apparaît pourtant avec évidence qu'il y a toujours quelque forme de perfection dans l'imperfection, une tonalité idéale jusque dans l'essai raté. Il y a toujours une échelle de secours qui se déroule sous nos pas, juste au moment critique. 
 
Lorsqu'on a traversé un tunnel et qu'on en ressort indemne de l'autre côté, on réalise soudain à quel point il était finalement confortable d'être assis dans le noir au milieu de nulle part, avec sa pensée comme seul bagage. Une plongée dans un milieu étrange et une sorte de confiance fondamentale qui nous préserve en toute circonstance.

Chaque situation se fond avec délicatesse dans une autre, juste le temps de faire quelque peu bouger les lignes et de placer quelques repères inédits. L'esprit s'applique méthodiquement à la construction d'une vaste trame mélodique, laissant comme un commentaire discret flotter à l'arrière-plan. Un sous-titrage sur lequel il devrait toujours être possible de revenir ultérieurement en cas de besoin. Une documentation clés en mains pour la mémoire, pour les vieux jours quand la vue baisse et où la seule lecture qui convienne encore est celle de l'autobiographie.

Sachant que l'espace n'est qu'une invention courante de l'esprit, on pourrait facilement se sentir à l'étroit ou ressentir quelque impression d'oppression. Curieusement, il n'en est rien. Dès que le besoin s'en fait sentir, le champ se libère et de nouvelles perspectives s'offrent à notre insatiable curiosité. De nouveaux problèmes physiques et métaphysiques affluent en requérant toute notre attention. Même en rêve, l'esprit tisse ses conjectures sans faire de pause, filant sans cesse des poèmes longs et des métaphores subtiles.

Quand donc prenons-nous le temps de faire une pause pour méditer en termes de gratitude ? Pour reconnaître enfin que tout cela n'est que pure merveille, rêve éveillé, conte de fées et parfaite félicité ...




Illustration :

Vladimir KUSH
"Cueillette de fruits"

 
 


20 février 2015

La construction de forteresses conceptuelles


Il existe dans tout système social une propension exagérée à la production névrotique de ce qu'on pourrait appeler des bastions conceptuels réservés. Le plus souvent cet exercice vise à instituer quelque nouveau dogme ou quelque manière biaisée de voir les choses. Mais plus généralement, le but de la manœuvre consiste très prosaïquement à couvrir des situations bancales qui perdurent sans trouver de solution, ou des scandales imminents qu'il s'agira de dissimuler le plus longtemps possible.
 
 
 
 
En gros, il s'agit de délimiter par simple principe d'autorité, certains seuils conceptuels à ne pas franchir. Ou encore d'instaurer des zones de non-dit, voilées d'une brume assez perverse de crainte et d'ignorance. C'est toujours une entreprise risquée, sachant que l'esprit adore fureter partout et surtout là où on lui dit de ne pas aller !

Prenons pour exemple récent le gouvernement français qui, soucieux de se dissocier au moins momentanément de ses mauvais résultats économiques, a délibérément choisi de mettre en scène à grand frais des thématiques sociales à connotation ethnico-religieuse. C'est avec une certaine théâtralité non dénuée de machiavélisme qu'il s'efforçait ainsi de récupérer à son profit les retombées des attentats terroristes de janvier et d'organiser un défilé très peu spontané sous le désormais célèbre slogan "Je suis Charlie". A cette occasion, certains mots furent lâchés à dessein dans les media, comme des grains disséminés dans un poulailler : islamisme, antisémitisme, jihad, alya, Israël, Syrie. Cette délicate campagne d'intoxication avait évidemment pour but de définir certaines affinités électives sans toutefois paraître stigmatiser trop directement l'une ou l'autre des parties. Plutôt que de faire progresser l'ensemble du problème dans le sens d'une recherche de solutions, il s'agissait en réalité de sanctuariser le débat. Ou plus concrètement encore, de le délégitimer.
 
Toujours est-il que la pensée, dans ses fluctuations, ne saurait se contenter de symboles aussi minimalistes surtout si d'entrée de jeu ils paraissent à l'évidence quelque peu déséquilibrés. L'exigence de l'esprit est d'aller toujours au-delà des limites supposées, bien au-delà même de toute formulation verbale. C'est fort mal en comprendre la nature subtile que de présumer que l'intellect allait s'arrêter net devant un concept préformaté, moulé à la louche et gracieusement distribué par tous les canaux médiatiques  !

Bien au contraire, les contorsions que le gouvernement s'inflige pour tenter de sanctuariser certaines problématiques ne font qu'attiser les soupçons et enfler les polémiques. D'autant que par la bouche même du premier ministre se profile déjà l'ombre de la censure ...







 
 
 

8 février 2015

Combler les manques


 
A contempler ces arbres qui habitent avec tant d'élégance et d'ingéniosité juste au-dessus de nulle part, il peut venir à l'idée que vivre c'est essentiellement combler des failles. Il serait donc question de faire ce qui n'a jamais été fait et d'inventer ce qui n'existe pas. Ou encore de penser l'impensé. Et ça c'est vraiment génial comme mission : activer des creux ontologiques.
 
 
 
 
On se retrouve dès lors avec l'objectif implicite de pallier à certaines carences et d'instruire des absences. Ou encore, de constater des lacunes. Et ce n'est pas l'ouvrage qui manque, si on veut bien regarder autour de soi. Non seulement cet objectif de comblement du vide est particulièrement stimulant, mais en plus il représente de quoi occuper une vie entière. Et même beaucoup plus, puisque bizarrement le non-être semble toujours plus abondant que l'être. Ah! côtoyer de profonds abîmes et s'avancer sans hésiter dans l'étrange inconnu.

Il faut donc beaucoup d'imagination pour vivre en pleine conscience, car à vrai dire rien n'est prescrit ni programmé par avance. Il s'agit d'inventer la mélodie à chaque instant tout en se contentant de l'orchestre d'amateurs qui est mis à notre disposition : les rafales désaccordées du vent sur les toits, le soleil qui n'est jamais là où il faudrait pour la photo et la nuit insaisissable. Ah! la nuit qui est toujours trop longue ou trop courte.

Toutefois de cette prodigieuse faculté créative dont nous bénéficions minute après minute découle nécessairement une forme de responsabilité philosophique qui devrait imprégner nos orientations et nos réflexions. La nature de l'enjeu est d'une grande noblesse : quand on a le pouvoir de meubler le vide, ne serait-ce que l'espace d'un instant, on peut aussi faire en sorte que le prochain geste soit juste et que la pensée soit belle, harmonieuse et bienfaisante ...





 
 


31 janvier 2015

L'effet neige ...


 
Une simple averse de neige et le monde entier devient étrange, si calme et si précieux. Des flocons tombent comme de grosses fleurs, en planant. De temps en temps on entend le petit cri interrogateur d'un oiseau, un seul battement d'ailes. Le silence retombe, c'est un poème pour l'âme et un repos pour la nature ...
 
Froid saisissant et perte momentanée des repères communs : ce délicat sortilège d'apparence vaguement extraterrestre ne recèle pourtant aucune dangerosité. En réalité, la neige est une puissante leçon métaphysique qui nous enseigne à distinguer la forme et le fond, à discerner peut-être l'essentiel de l'inessentiel.
 
Toutefois, ces images littéraires éculées qui nous viennent spontanément à l'esprit, comme "le grand manteau blanc", contiennent des vérités certes profondes, mais ne pouvant être vérifiées de nos jours que dans les campagnes reculées.

En ville, la neige disparaît très vite sous l'effet conjugué de la température environnante et d'une circulation automobile intensive. Dans un cadre urbain l'épisode neigeux d'amplitude moyenne suscite de généreux épandages de gros sel, ce qui ne manquera pas d'entraîner inexorablement l'apparition d'une boue légèrement toxique qui ira s'infiltrer dans les égouts. Poème des évanescences ...
 
Toujours est-il que fors la guerre, seul une puissante tempête de neige est encore en mesure de stopper net la course folle d'une civilisation déjà sur le déclin et qui n'arrête pas un seul instant de courir à sa perte. Le temps peut-être de se retrouver seul, face à soi-même et à ses propres choix philosophiques.

Alors confortablement emmitouflé et muni d'une haute tasse de café fumant ainsi que de quelques biscuits, on peut se mettre à examiner ce qui est à nos yeux important et ce qui ne l'est pas. Rien ne presse. La neige continue à tomber ...





Illustration

Estampe de Utagawa HIROSHIGE



 
 
 
 
 
 
 


25 janvier 2015

Et maintenant dix mille constellations à décrypter



Il n'y a pas lieu d'être effrayé, ni de s'en étonner. Le moment est venu et vous le savez bien.
 
Il faudra maintenant se rappeler de toutes les lectures, les formules secrètes et les calculs impossibles. Il faudra accepter la solitude et parfois le désarroi. Comme si la terre avait glissé toute entière derrière le monde ...
 
Et les constellations qui maintenant apparaissent ne sont déjà plus les mêmes, ne représentent plus rien dans les registres du connu. Et ne mènent même plus du nord au sud.

Il faut maintenant monter aux terrasses hautes pour pouvoir descendre en soi-même. Sans compagnon et sans consolation. Les animaux aimés sont tous partis en éclaireurs. Il s'agit maintenant de comprendre de quoi il retourne. Scruter le fond des nuages pour en apprendre plus et peut-être saisir deux, trois mots d'un langage étonnant.

Ne pas reculer, ne pas redescendre les marches et fixer l'horizon sans se lasser, l'horizon intérieur où défilent des merveilles.

Subjugués par la recrudescence des pseudo catastrophes, nous avions pris cela pour des avertissements. En fait, il s'agissait d'un nouveau langage, un langage inventé et imposé. Comme dans un rêve, mais le rêve est inscrit dans le jour et le jour est maintenant commencé.

Ainsi nuit et jour, nous veillons aux fenêtres des tours et nous interprétons les gestes d'une langue hier encore inconnue, mais qui nous devient de plus en plus familière à mesure que notre intuition s'affine. Vaincre le vertige et libérer le pouvoir mental de ses assignations, telle est à présent notre infaillible méthode.





Illustration

M.C. Escher








 
 

22 janvier 2015

Camper dans l'intervalle

 

L'esprit se meut dans un espace ontologique privilégié, ce champ quasi illimité qui s'étend entre l'avant et l'après, l'être et le non-être. La pensée ne fait que jouer comme le vent à travers les haubans ...
 
 



Ceux qui prétendent gouverner les peuples savent cela d'instinct. C'est pourquoi ils imaginent toujours des leurres destinés à capter l'attention, à  paralyser l'esprit. Des cadres symboliques sont ainsi prescrits pour contrôler les citoyens, que l'on va traiter en troupeau comme on ramène le bétail de la prairie. Le conduire à demeure, avec quelques slogans simples à retenir et quelques petits drapeaux à agiter.

L'autre jour à Paris et contrairement à des apparences habilement suggérées, l'organisateur de la grande marche compassionnelle n'était certainement pas le peuple. Curieusement,  le raisonnement n'était pas non plus invité à la cérémonie. Et dès les dernières banderoles remisées, ne voit-on pas déjà se profiler quelques lois expéditives, quelques manœuvres visant la liberté d'expression sur le web et divers aménagements restrictifs qu'on espère pouvoir instaurer sans provoquer trop d'agitation populaire ? Il faut reconnaître que la passion française pour les grands attroupements appelés "manifs" par les initiés, a été largement assouvie ces derniers temps. Comme par miracle, la route est donc aplanie pour laisser libre cours à l'instauration de quelques nouvelles réglementations.
 
Ne jamais oublier que la liberté de pensée est d'abord un pas de côté. Un mouvement furtif de travers : on ne voit bien qu'en perspective. Toutefois l'art de l'esquive et le flair du piège ne se consolident qu'au travers d'une pratique constante et d'une certaine autodiscipline. D'autant que l'intellect aime aussi à se jouer les arrêts sur image, les retours en arrière et les "no go zones". La paresse mentale devient si vite un mauvais pli.

L'intervalle est donc encore un sanctuaire pour l'esprit. Nul ne peut l'en déloger ni l'empêcher d'y procéder, mais ça pourrait bien changer si on n'y prend pas garde ...





  
 
 


17 janvier 2015

Vagues mentales


Il était donc question ces derniers jours de caricatures considérées par beaucoup de musulmans comme blasphématoires, de leur publication réitérée et de l'exécution de leurs éditeurs par un commando présumé islamique.

Quand la pensée se laisse submerger par des vagues d'émotion elle se met aussitôt en danger, quelle que soit par ailleurs la qualité de cette émotion. Ce genre de phénomène a toujours été exploité avec plus ou moins de talent par toute sorte de manipulateurs, à commencer par des politiques rusés, des guides spirituels ou des conférenciers efficaces.
 
 


Personnellement, si on me proposait aujourd'hui de descendre dans la rue pour scander un slogan avec des milliers d'autres personnes, cela me poserait un problème.  Servir une cause est une chose, servir d'alibi en est une autre. Dans ce monde de la communication virtuelle, où l'affichage des écrans se renouvelle au rythme de la respiration, tout évènement sombre aussitôt dans l'oubli s'il n'est pas soigneusement balisé par de forts signaux symboliques. Dès lors, une telle manifestation collective ne peut qu'avoir été instrumentalisée à leur service par ceux qui l'ont organisée.

Sauf à rechercher la fraternité et la chaleur humaine, il est assez vain de défiler avec une pancarte décorée du mot d'ordre du jour. Car c'est bien d'emprise mentale qu'il s'agissait l'autre dimanche et la suite de l'histoire ne manquera pas de démontrer qu'il s'agissait là d'un tournant stratégique dans une guerre de civilisation. Et sans doute pas dans le sens rêvé par ceux qui défilaient.

Il valait donc aussi bien occuper son dimanche en faisant quelques recherches documentaires sur le sujet en question, ou bayer aux corneilles tout simplement ! Mais chacun s'occupe de sa conscience comme il l'entend ...



 





6 janvier 2015

Cent rivières


 
Tandis que la civilisation actuelle poursuit sa course folle vers les abîmes avec toute l'inconscience de la mauvaise foi, saccageant la nature et ses propres moyens de survie, des regards alternatifs nous offrent pourtant de nouvelles plateformes de pensée qui parviennent à concilier l'intérieur et l'extérieur, l'esprit et le corps.
 
Ainsi en est-il des œuvres oniriques de ce peintre et architecte d'origine autrichienne Friedensreich Regenstag Dunkelbunt Hundertwasser (1928-2000), dont toute l'œuvre est parsemée de symboles poétiques, à commencer par son nom d'artiste féru de complications. Qu'on en juge un peu : son pseudonyme officiel veut dire Royaume de la Paix, Jour de Pluie, Coloré sombre, Cent Eaux. Un concentré de psychologie jungienne et de linguistique extra-européenne, notamment japonaise. Tout le charme des jeux de pistes, des messages secrets cachés dans les arbres, de l'imagination à revendre !

Alors qu'il aimait à se présenter comme un architecte-médecin, on devine que toute cette luxuriance n'est que le diagnostic du malaise de la fin d'un monde : elle annonce que désormais il faudra se contenter de bribes, de retombées à ravauder. Qu'il vaudra mieux être aguerri au plan de l'imaginaire pour arriver à survivre dans celui du réalisme. Au chapitre culturel, il ne subsistera bientôt que des feuilles balayées par le vent, des fragments d'art éparpillés, des manuscrits dérobés et des bibliothèques indûment spoliées. Des micmacs virtuels sur le web (autrement nommé l'océan des plagiats) à la vente illicite de patrimoine culturel par certains gouvernements se prétendant insolvables comme à l'émergence de divers cataclysmes climatiques, l'ambiance se fait chaque jour un peu plus glauque. D'autant que le brassage accéléré des populations entraîne une nécessaire simplification de la communication et que dès lors, les références culturelles ont tendance à s'annuler les unes les autres plutôt que de se compléter harmonieusement.

C'est dans ce contexte perturbant que les visions pénétrantes de Hundertwasser peuvent nous aider à nous déplacer dans les strates mentales et à nous donner le courage d'avancer dans le paysage ! 



Hundertwasser, Waldspirale
(Spirale de la Forêt)
Darmstadt, Allemagne

 



 
 

3 janvier 2015

Algorithme inaugural

 
L'opération métaphysique la plus délicate, pour un conteur qui se veut efficace, est dans le choix méticuleux d'un titre.
 
 


Le contenu sémantique de tout le texte doit pouvoir y figurer comme l'univers dans une goutte de rosée, mais sans en alourdir la portance, le jet. Le titre se doit donc d'être à la fois subtil, enjôleur et modérément explicite.
 
Dans cet exercice périlleux, ce sont tout naturellement les journalistes et les auteurs de blogs qui sont amenés en première ligne à devoir résoudre ce genre d'exquise problématique, pensum rituel qui confine à l'art du koan, cette petite formule énigmatique que les maîtres zen de l'école Rinzaï proposent à leurs disciples pour les faire avancer dans l'étude de la Voie.

Plus prosaïquement, nous nous contenterons donc de prononcer un modeste mais très sincère : Bonne et heureuse année à tous les voyageurs de l'espace virtuel, de même qu'à tous les autres bien entendu !


 
 

20 novembre 2014

L'expertise des funambules

 
Nous avons ces jours-ci le curieux privilège d'assister à la disparition d'un monde, d'une civilisation se diluant sous nos yeux vaguement incrédules en un épisode transitoire qui cherche encore un nom et une forme, ce que tout un chacun peut ressentir à sa manière dans son vécu intime et selon ses propres critères de jugement.
 

 
 

Et puis bien sûr, il y a les spécialistes. Ceux qui ne doutent de rien, jamais ... Ceux-là n'hésitent pas à ouvrir la porte du futur et vous font visiter les nouveaux locaux : ce sont en quelque sorte des agents immobiliers qui vous vendent de l'espace vide, avant travaux. Pour simplifier, nous les qualifierons ici de caste technomédiatique.
 
Ces gens sont de véritables artistes, il faut bien le reconnaître. Ils n'hésitent pas à mouiller la chemise ni à descendre dans l'arène télévisuelle pour dérouler leur scénario et délivrer leurs ordonnances et autres oukases. Ce qui les dessert pourtant sur le moyen terme, c'est bien leur assurance qui finit par être contreproductive.
 
Résumons le processus : d'abord vous voyez les gars à la télé, vous vous dîtes ok, là ils nous parlent de nouveautés toutes fraîches, mais peut-être ont-ils déjà puissamment étudié la question en profondeur, sous tous les angles. Vous vous dîtes une telle maîtrise du sujet, une pareille aisance à disserter de phénomènes émergents ne peuvent pas être contrefaites. Et puis, à tête reposée et hors de l'emprise télévisuelle, vous vous mettez à réfléchir. Puisque les thèmes abordés sont réputés inexplorés car trop récents, comment se fait-ils que ces experts technomédiatiques soient déjà si bien documentés et semblent tellement sûrs de leur fait ?

Puis la réponse vous arrive subitement en spirale, comme la trace d'un ancien souvenir : autoréférence. La grande affaire philosophique de Fichte ! S'agit-il dans ce cas d'une problématique épistémologique ou d'une occurrence ontologique ? D'une contrebande maffieuse d'informations ou de la fabrication d'une conspiration en direct live ? Peut-être d'une stratégie globale de désinformation visant à promouvoir un certain ordre mondial et culturel ?

Autrement dit, les allégations de nos spécialistes sur les nouveaux mondes virtuels et autres variations similaires relèvent-elles d'une réalité communément observable ou sont-elles plutôt des constructions de l'esprit ? Nous penchons évidemment vers cette dernière option, tout en n'ignorant pas que tôt ou tard, les constructions de l'esprit se font visibles à l'œil nu.




Illustration

Edith Waddell, Los Angeles
Transcendental Carrousel
Acrylic on Canvas



 
 
 
 

23 octobre 2014

In abstracto



"L'intellection est une opération absolue, qui n'a rien à faire de l'existence ou de la non-existence d'une chose, et qui consiste à appréhender la chose même ou sa quiddité."
 Matteo d'Aquasparta, Questions disputées sur la foi et la cognition, 13ème siècle

 
 Il y a des occasions où il convient de laisser couler son intuition sans essayer de la retenir. Particulièrement lorsqu'il s'agit d'appréhender des situations complexes ou de décrypter les ambiguïtés d'un discours. L'éducation moderne ne prépare plus l'intellect à ce type d'éventualités mais se satisfait en revanche de modéliser des caricatures thématiques, lesquelles simulations présentées comme scientifiques, seraient supposées représenter des situations réelles. Oui, réelles dans la vraie réalité ...

Le pseudo esprit rationnel, cette maladie chronique propre à l'occident donneur de leçons, a déjà causé de trop nombreux ravages dont le moindre n'est pas dans cet effort constant visant à dévaloriser la démarche théorétique ou les activités considérées comme étant purement intellectuelles.

Sous d'autres cieux et d'autres régimes, le poète ou le philosophe ont pu être honorés au même titre que l'empereur. Quant au sage assis tranquillement sur son séant à méditer, il n'était pas immédiatement suspecté d'être un fainéant qui rechigne à la tâche. Encore aujourd'hui, dans certains pays asiatiques réputés parmi les plus compétitifs, des familles modernes et cultivées s'honorent d'envoyer leurs adolescents les plus prometteurs faire un stage de quelques mois dans un monastère bouddhiste. Non pas pour y être instruits d'une quelconque religion, mais pour y apprendre les arts subtils de l'esprit ...

Mais la mode est aujourd'hui au démantèlement cognitif intensif et au moins disant culturel. Le nouveau système connectiviste met en ce moment même la dernière touche à l'entreprise d'assignation à résidence visant à nous empêcher d'évoluer librement dans le champ d'abstraction. Voyez et vérifiez donc par vous-même : déjà internet vous rend moins sûrs de vos souvenirs et sabote vos rêves à la racine. Vous n'avez même pas fini de taper vos instructions de recherche sur un moteur, que déjà s'allonge une liste censée prévenir tous vos desiderata. Mais surtout à vous couper l'herbe sous les pieds. C'est affligeant. Si l'on entend nous priver du plaisir même de formuler nos requêtes lexicales, que nous restera-t-il bientôt comme espace d'autonomie mentale ?
 
 




Illustration :

Rizières de montagne
Lyette Kyny Asie du Sud-Est
 

 

20 octobre 2014

Ou marcher dans le vide


Très jeune déjà on juge indispensable de s'installer dans les cercles connectés pour s'y creuser une petite niche. Et puis, à force de rentre-dedans et de tweets à la chaîne, on pourrait même envisager d'acquérir une certaine surface, commencer à gonfler la voilure et se forger une e-réputation. Parce que maintenant on ne raisonne plus qu'en termes de plateforme, il faudrait donc toujours à la pensée un logis, une adresse. Mauvais pli, l'affaire est mal engagée.

Il convient de le dire et de le répéter aussi souvent que nécessaire, la pensée n'a pas de localisation. Phénomène quantique par excellence, la pensée n'a pas vocation à stationner dans les situations ni même à la jonction des théorèmes, fussent-ils métaphysiques. La pensée n'excelle qu'à planer où bon lui semble, voler en une nanoseconde d'un bout à l'autre de l'éternité ou encore et tout simplement, marcher dans le vide.

La pensée opère toujours à la marge, dans l'intervalle subtil entre les vagues d'énergie, tout affichage sémantique n'étant en somme que le signal formel d'un processus réussi à l'instar du lumineux clignotement des étoiles lointaines. Alors quand la politique du nouveau web consiste à vouloir nous assigner à résidence, sans doute pour tenter d'enchaîner la pensée à d'influents circuits algorithmiques de prescription sociétale et idéologique, il s'agit de lui tirer l'échelle sans l'ombre d'une hésitation.

Les nouveaux parcs à thèmes proposés dans l'espace numérique laissent déjà entrevoir leur véritable destination, qui est le formatage d'une clientèle captive. Si les programmes en cours, comme tous ceux qui les ont précédés, nous paraissent à nous autres béotiens résulter de connaissances technologiques extrêmement sophistiquées, il n'en n'est généralement rien : leurres pour la pensée et marketing de masse. Ah! le puissant susurrement des mots magiques : cloud computing, crowd sourcing et autres e-tutoring. Le caractère culture populaire et bon enfant d'injonctions subliminales, du style : "Voyez comment nous, des geeks extraterrestres surdoués, prenons sur notre agenda déjà hyperbooké pour vous expliquer patiemment comment vous aussi pouvez développer votre intelligence".

Oui, bien sûr, mais non sans façon ! Poliment mais fermement. Sous prétexte d'être en phase d'apprentissage, on n'est pas obligé de tomber tête baissée dans tous les panneaux, car la démonstration est toujours à refaire même si la mémoire garde les empreintes d'expériences antérieures réussies. Les anciennes générations connaissaient le luxe de l'ennui mais aussi la liberté d'utiliser l'intellect à leur guise. De nos jours, c'est la pensée elle-même qui se trouve être l'enjeu de manœuvres organisées visant sinon à la domestiquer, du moins à la conditionner.

Penser à penser est déjà une forme de sauvegarde. En outre, s'exercer régulièrement à "penser dans le vide" est un bon entraînement de combat. Par ces temps qui s'annoncent troublés, mieux vaut éviter de se rendre trop dépendant d'artifices extérieurs si l'on tient à garder une certaine vivacité d'esprit et un semblant d'autonomie de jugement.


 

15 octobre 2014

La vie monacale du commentateur de weblog


Il n'y a pas d'heure pour les braves.

La journée de l'impétrant commence bien avant l'aube mais déjà dans le calme et la concentration les plus propices à ses activités scripturales. Il s'agit d'abord de s'assurer qu'aucun commentaire posté sur son blog préféré durant ses quelques heures de sommeil n'ait pu échapper à sa vigilance. Fébrilement, il passe en revue les interventions de la veille et ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire à la lecture de quelques mémorables passes d'armes dont il était parfois l'instigateur, sinon l'acteur. Le plus dur étant ensuite de tromper ce temps qui s'étire interminablement jusqu'au très attendu prêche matinal, qui lui tient lieu de nourriture spirituelle quotidienne autant que de prétexte à développer son propre génie rédactionnel.
 
Les divers travaux pratiques sont exécutés rapidement et en silence : toilette, collation matinale, ménage seront aussi expéditifs que superficiels. Sachant que l''activité principale d'un commentateur est essentiellement de commenter les commentaires plus que le sermon lui-même, (habilement arrangé autour d'un flou hagiographique du meilleur effet), il se doit d'être au mieux de sa forme et d'une vigilance à toute épreuve. Il lui est donc permis de consommer d'innombrables mugs de café fort ou pour les monastères les mieux dotés, des espressi en capsule "what else".
 
Ne pas s'imaginer cependant qu'il règne ici une ambiance de  franche camaraderie. Les autres frères-commentateurs réguliers sont en réalité des concurrents féroces plus que des collègues. Dans cet univers complètement dingue relooké aux couleurs du numeric-age, les moines ne sont plus des copistes mais des contributeurs à part entière. Dans la mesure où leurs interventions sont conséquentes et bien tournées, elles peuvent en effet contribuer à la réputation d'un blog tout autant que la qualité et la persévérance de l'auteur lui-même.

Le commentaire de weblog est néanmoins un genre littéraire éphémère et délicat qui tient plus du haïku japonais que de l'analyse critique. Qui se souvient en effet des perles d'avant-hier ... sinon leur propre rédacteur. Lequel se lève parfois nuitamment pour relire et savourer ses propres tournures et trouvailles, si peu mises en valeur par le défilé incessant des réparties qui se veulent plus spirituelles les unes que les autres.

La vie monacale du commentateur est ainsi faite de solitude, de frustrations et de petites joies. On entend parfois l'un ou l'autre pouffer dans sa manche pendant l'homélie introductive. Mais surtout, dès la messe dite, on les voit tous se précipiter sur l'encyclopédique Google pour y quérir l'indispensable matériel documentaire afin de resplendir comme un astre pendant quelques minutes exaltantes.







 
 

10 octobre 2014

Ceux qui scrutent les profondeurs



Subjuguée par le paradigme accrocheur et combien esthétique de fluctuation, notre époque en est venue à perdre tous ses repères. On sait à quel point l'apologie du changement représente de nos jours un argument de vente subliminal, porteur des promesses les plus fallacieuses et les plus vides de sens. Or à l'usage, le "syndrome du perpétuel fluctuant" se révèle n'être qu'une simplification paresseuse qui évite à la pensée d'avoir à se confronter à la notion de profondeur du champ. C'est typiquement la déformation de ceux qui ne raisonnent plus que par l'intermédiaire d'un écran : tout devient plat, lisse, laminaire, tout glisse. De temps en temps, il faut juste se souvenir d'avoir à exécuter une petite mise à jour, sinon tout se disloque ...

Bien entendu, on a tenté de nous refaire à ce propos le coup désormais classique de la philosophie extrême-orientale expliquée aux nuls. Les indispensables professeurs en sinologie et autres spécialistes du prêt-à-penser à l'intention du grand public ont doctement tenté de nous faire accroire qu'en chinois, penser signifie fluctuer. Comme les cours de la bourse, donc. Plus prosaïquement, il se trouve que le programme connectiviste est aujourd'hui en mesure d'accaparer et de brouiller l'espace mental avec ses lignes d'horizon enchevêtrées, tout en procurant l'illusion d'une gestion orchestrale de l'information (quel type d'information ?). La pensée se perd dans cette opacité du pléthorique, dans le contexte grouillant d'une multiplicité idéographique, mise en scène comme étant encyclopédique. Les critères de pertinence n'ont plus vraiment de sens ici ni de valeur, puisque toute phrase en vaut une autre. Le prétendu réservoir du savoir humain que serait internet n'est qu'un leurre pour la mémoire, tout ici se désagrège comme les châteaux de sable. L'addition de bribes documentaires hétérogènes ne fait pas une histoire.

Le fond de l'affaire (si l'on ose dire) est qu'en noétique, il n'existe pas de fluctuation, il n'y a que des paliers d'abstraction qui courent jusqu'à l'infini. C'est pourquoi la pensée ne peut que s'orienter spontanément vers l'espace des profondeurs, l'espace métaphysique ...





Illustration

"Vue de Tsukuda au clair de lune avec Dame au balcon "
de Utagawa Hiroshige





 

5 octobre 2014

Internet et l'inhibition de la pensée théorique


L'attraction cognitive exercée par le web et ses extensions mobiles n'a pas encore fait l'objet d'études approfondies, bien qu'on puisse déjà en déduire de manière intuitive certains effets secondaires des plus délétères. Notamment sur les jeunes générations, qui ne connaissent souvent en matière de gymnastique de l'esprit que le clic compulsif sur un lien hypertexte.
 
Le réflexe fort répandu qui consiste à prendre pour argent comptant tout ce qui est écrit noir sur blanc est en constante progression, malgré la soi-disant émergence d'une culture de la conspiration. La rencontre d'un cerveau et d'un monde virtuel offrant des ressources réputées inépuisables n'a pourtant aucune analogie avec la recherche d'un ouvrage dans une bibliothèque ou une librairie : ici, tout défile dans une fluctuation permanente qui n'est que miroitements de surface, le but étant visiblement de retenir l'internaute dans l'arène textuelle. Il s'agit donc de réaliser (et le plus tôt sera le mieux) que dans ce contexte le concept même de référence devient inopérant, car le processus du copier-coller entraîne des imbrications en chaîne à des niveaux si subtils qu'elles sont quasiment impossibles à détecter, même pour un robot.
 
Théoriser le web n'est donc possible qu'en mettant le système en perspective, ce qui suppose d'être encore en mesure de pouvoir s'en distancier. Dès lors comment attendre cela d'une génération qui n'a connu comme répertoire culturel que des données glanées sur divers sites et comme seule autorité professorale Wikipédia, où des bénévoles anonymes dont on ne connaîtra pas le degré d'érudition ni de neutralité composent et décomposent les articles au fil du temps !

Et pourtant il faudra bien sortir du cercle magique pour réfléchir et se donner une chance de définir ces nouvelles expériences cognitives et intellectuelles. Cela demande une indéniable forme de courage et osons le terme, un véritable saut dans le vide. Ce qui n'a rien d'anecdotique quand on songe qu'il paraît déjà incongru à certains d'envisager de remettre en cause les nouvelles procédures invasives que les grands opérateurs du web sont en train de mettre en place dans une passivité quasi générale ...

 
 
 
  

2 octobre 2014

Brouillage mental : les maîtres du puzzle



Le modèle connectiviste semblait devoir apporter une ouverture sur le monde, de même qu'une optimisation radicale des standards de l'information. Après quelques années d'internet à haut débit, on voit déjà qu'il n'en est rien. Bien au contraire, on constate que l'utilisateur compulsif des plateformes de connexion vit dans un univers parallèle qui est en vérité une sorte de brouillard opacifiant et neutralisant. Le surfeur ne "ride" pas, il est juste manipulé.

Il faut savoir que dans cette dimension l'information n'est qu'un leurre, une valeur d'ajustement qui dépend de critères fluctuants et parfois assez ésotériques. Les moteurs de recherche ne font d'ailleurs guère mystère du fait que les résultats de recherche placés en tête de liste correspondent plus à des créneaux commerciaux qu'à des bases objectives ou scientifiques. Pour le reste, il suffira de prendre pour exemple quelques uns de ces weblogs à l'aspect sobre et discret, généralement consacrés à des thèmes d'ordre politique, économique ou artistique. Certains d'entre eux offrent une véritable tribune ouverte aux lecteurs, lesquels ne se privent pas d'y exercer leur talent critique ni d'apporter quelque grain à moudre à ce moulin. En apparence, les commentaires s'alignent sagement les uns derrière les autres selon leur ordre d'arrivée, délivrant leur portion congrue d'information-désinformation. A y regarder de plus près on s'aperçoit avec stupeur que les interventions sont déplacées, décontextualisées puis recasées selon le bon plaisir du webmaster.

Dès lors on comprend bien que tout message peut être recyclé dans une nouvelle configuration, voire dans un sens très différent. Le  magicien qui sommeille en chaque créateur de blog sait bien être attentif aux signes les plus subtils et aux indices de transformation. Il ne se prive donc pas de brasser et rassembler les morceaux du puzzle qu'il compose et recompose avec la patience tranquille que seule peut conférer l'extraterritorialité du web.

A l'occasion on aura donc tout le loisir d'assister, médusé, à un détournement sémantique des propos des internautes sous la direction d'un chef d'orchestre invisible mais omniprésent. Les fils des commentaires sont savamment détricotés puis réarrangés, donnant une nouvelle tonalité à l'ensemble. Au final et si l'auteur du blog est un geek un peu artiste, on peut assister à l'émergence d'une symphonie harmonieuse où les propos épars des uns et des autres sont imbriqués dans un jeu de rôles quasi scénarisé. Les intervenants extérieurs ne sont au final que des pions circulant à leur insu sur le plateau d'un jeu complexe, à niveaux multiformes.


 

27 septembre 2014

Dans le nuage d'astéroïdes du web


 
En retrait des grands sites médiatiques et du trafic mainstream, il y a toute une zone inexplorée qui n'est cartographiée nulle part. Des blogs de taille et de qualité diverse y flottent à la dérive, selon le bon plaisir de leur capitaine. Dans une pénombre propice fleurissent des tavernes louches et des vaisseaux-fantômes, des pirates y fomentent leurs prochains raids. On y trouve des mondes gelés où hibernent des meutes de loups et des ruines par milliers. Des sites archéologiques tournoyant dans le silence profond de l'inter-espace et des weblogs délaissés sans la moindre explication ni trace de leur auteur, comme les sites maya abandonnés en plein jour sans aucune raison apparente. Il faut avoir connu ces excursions en solitaire dans le no man's land pour être digne de s'appeler internaute.
 
Atterrir sur un de ces petits mondes n'est pas partie gagnée. On peut en effet s'attendre à ce que le seigneur local soit entouré d'une escorte peu encline à l'ouverture et qu'une possible confrontation tourne rapidement au désavantage du visiteur inexpérimenté. Comme dans tous les coins reculés, il vaut mieux débarquer avec quelques babioles en poche et savoir distribuer à bon escient sourires et flatteries. Ici rien n'est stable, la moindre entrée en matière peut être mal interprétée. Dans certains cas de blogs à caractère, les usages locaux sont si subtils et difficiles à cerner qu'il vaut mieux se contenter au début d'observer sans révéler sa présence, même si ne pas se précipiter pour poster un commentaire peut relever du supplice chinois. Louvoyer dans ce monde parallèle n'est décidément pas à la portée du surfeur du dimanche. 
 
Mais il y a aussi des havres bienveillants où les moineaux viennent picorer, des cours de récréation pleines de rires et de bousculades.  Quand bien même nous avons un faible pour ces calmes monastères où l'on peut étudier l'infini dans la proximité d'une végétation luxuriante, nous raffolons aussi traîner dans les brocantes où il y a des secrets à chiner. De drôles de vaisseaux conduits par de drôles d'oiseaux passent au large, j'aborde souvent cette goélette dont le capitaine porte haut-de-forme et masque à gaz comme pour inscrire à jamais sa légende dans les strates profondes du web.

A croiser longuement dans la ceinture d'astéroïdes, on tombe parfois sur des mondes sublimes à couper le souffle et dont immédiatement on voudrait partager la localisation avec d'autres navigateurs. C'est généralement peine perdue car toute tentative de triangulation échoue : un miracle reste un miracle.
 

25 septembre 2014

Comment H16 transforme les glissements de réalité


Le site Hashtable est l'un de ces planétoïdes tournant à la périphérie du web connu dont il est question au chapitre précédent et H16 en est le seigneur et maître. Quotidiennement, il s'occupe de son univers-jardin avec patience et abnégation sauf le dimanche quand les autres déités se reposent aussi.
 
Tous les jours donc, H16 fait naître l'illusion à partir de zéro, une nouvelle insignifiante, une anticipation calculée, un pari fou : il jette un titre d'article sur la table comme on lance les dés et le charme commence à opérer. D'abord le prêche du haut de la chaire, toujours captivant et en apparence bien documenté. Le ton est magistral et assuré, le public est d'ores et déjà sous influence. En magicien de l'art, il dessine une ambiance, campant un environnement imaginaire puis se met à le saupoudrer de doute. Il insiste, fouille dans les recoins, chacun se sent directement concerné : "oui, c'est bien moi. Mea culpa, maxima culpa !" Commence alors l'interminable cortège des pénitents venant détailler leurs méfaits, leurs craintes et leurs espoirs. Les confessions durent jusqu'à ce que le sommeil gagne les plus bavards. H16 fait alors une dernière inspection des lieux, ramasse les bouts de rêve qui traînent encore puis éteint les lumières.
 
La qualité d'un maître se vérifie toujours à l'aune des plus humbles de ses disciples. Pendant la longue litanie des commentaires, le gourou n'est jamais bien loin qui veille à la discipline de son petit monde. Une sèche remontrance par ci, une bienveillance par là et plus loin, un éclairage sur un point de doctrine. Car ce micro-univers n'est pas seulement un biotope idéal pour blogueurs compulsifs, c'est aussi l'expérience en direct d'un système de pensée qui s'autorise l'autonomie. H16 est en effet un jardinier d'un genre spécial : il cultive l'entre-soi. Ses disciples viennent de loin pour lui rendre hommage. Pouvoir déposer chaque jour sa modeste contribution est ici clairement un privilège en même temps qu'une forme de consécration. L'excellence littéraire, la culture et le trait d'esprit sont de rigueur, même s'il règne parfois une certaine atmosphère canaille. Les envieux et les timides tournent autour du blog sans oser y pénétrer, se contentant de humer la ferveur intellectuelle qui anime ce petit monde perdu dans l'espace mais se suffisant à lui-même, régi par la seule volonté de son inspirateur et créateur, soutenu par ses fidèles commentateurs-courtisans.


 
 
Toutefois, l'ombre d'un soupçon traverse parfois l'esprit : se pourrait-il que ce blog soit en réalité une sorte de jardin d'enfants hyperdoués ? Y sévit par exemple un certain Calvin, dont on ne sait s'il a douze ou cent douze ans ... Auquel cas H16 serait une nounou sophistiquée, chargée de garder les précieux bambins de 9:00 heures à 22:00 heures. On sent en effet que le rythme des contributions s'étiole autour des 16:00 heures, pause sacrée du goûter comme chacun saît !

 

Le fin mot de l'histoire est sans doute que la table d'inversion des coups (hashtable) permet de se glisser indemne entre les séquences de réalité, en admettant que celles-ci soient de nature purement fictionnelles.

 
 
 
Illustrations
 
1. Le torrent aux ours : The Chalk Guy, dessinateur de rue US
2. Plan de ville dans un cirque de montagne : Hatsusaburo Yoshida
   (Google doodle)
 
 
 
 

6 septembre 2014

Un blog si tranquille

 
Un bon conseil : quand vous partez en excursion sur le web et croisez sur votre chemin d'humbles weblogs à l'aspect anodin, presque invisibles dans le bocage virtuel, sachez que les apparences peuvent être trompeuses. Le cachet d'amateurisme et la modestie de l'installation peuvent parfois réserver d'étranges surprises.
 
Pas de quoi paniquer non plus, mais il sera toujours préférable de garder à l'esprit qu'une bonne théorie de réserve vaut mieux que pas de théorie du tout ! Et il faut savoir qu'aujourd'hui c'est précisément dans ces lieux secrets que peut s'élaborer le monde de demain. Eh! oui, ce que vous aviez pris pour une cabane de jardin est peut-être un refuge intellectuel où de nouveaux paradigmes sont en cours de création. A moins que des agents au service d'une puissance inconnue n'aient choisi ce mode d'emprise sur l'esprit des internautes trop crédules. Qui donc irait se méfier d'un petit ermitage perdu au milieu des forêts du web ?
 
Pour en avoir le cœur net, rien ne vaut une analyse approfondie des commentaires liés aux articles d'un blog. Ici encore, pas de règles générales, mais du feeling, de la psychologie (et si possible un bon bagage de culture générale). N'oublions pas que dans certains blogs parmi les plus fréquentés, c'est l'un des commentateurs réguliers qui est le véritable patron du bar. Celui qui brille dans les débats pendant que l'auteur présumé se coltine le boulot rédactionnel ! Par ailleurs, un nombre très élevé de commentaires est typiquement l'indicateur qui permet de supputer qu'un blog est téléguidé de l'extérieur. Mais l'absence de commentaires est tout aussi sujette à caution, car cela laisse supposer que le blog en question se positionne dans un rôle d'observatoire, voire d'arbitrage. Inquiétant. Peu de commentaires mais pointus laissent à penser que les intervenants se la jouent "au-dessus" de nos têtes, entre initiés. Il pourrait donc bien s'agir là encore d'un leurre, un blog de combat déguisé en petit blog inoffensif !
 
Bref, il n'est jamais trop tard pour se poser les bonnes questions ...
 
 

29 août 2014

La véritable nature du net par l'erreur 503


Il vous est sans doute déjà arrivé de vouloir consulter une page familière, ou d'apporter quelque modification à votre site pour tomber inopinément sur une porte close : l'erreur 503 nous explose à la figure, indiquant que le serveur est momentanément inapte à traiter notre requête HTTP.
 
Et voilà ! pressé ou pas pressé, ce sera donc l'angoisse du vide et la solitude au large de l'hypertexte. Face à l'insolent déni de service il n'existe aucun moyen de négocier un protocole de transfert, le serveur étant où bon lui semble, dans les nuages ou peut-être sous le niveau de la mer ... avec nos inestimables données personnelles.
 
C'est ici que devrait normalement s'allumer en nous une petite lueur de vigilance, sinon de paranoïa. Après tout, depuis combien d'années sommes-nous ainsi conditionnés à déposer en ligne nos biens les plus précieux (souvenirs, photos, échanges, courrier, commerce, œuvres artistiques, etc...) ? Pourquoi devrions-nous ainsi nous délester sur le net de tout ce qui remplit nos vies, des conversations de bar aux grandes questions philosophiques ? Qu'est-ce qui nous pousse à monter dans ce train comme du bétail qu'on pousse dans les wagons, par centaines, par milliers. Toujours plus d'adeptes - et moins de services de la part des opérateurs, l'aurez-vous aussi remarqué ?
 
En vérité, la nature du Net est cryptographique, dans le sens où il s'agit d'une trame à résonances multiples. Comme toutes les trames (voir les toiles d'araignée), elle est composée de signes et de vide. Cette sémantique est grisante, vertigineuse et addictive. Nous en sommes tous les disciples plus ou moins consentants, bien qu'un peu naïfs. On voit pourtant se profiler déjà quelques signaux moins ludiques, des modifications dans les règles du jeu encore éparses et plutôt anodines. Des mots qui disparaissent, des livres qu'on copie, des auteurs qu'on oublie de citer, des citations que l'on falsifie comme à dessein ...
 
Contrairement à la légende, la recherche et la vérification des informations sont plus sujettes à caution que jamais. Pour des adultes cultivés d'âge mûr (qui disposent par conséquent de multiples points de comparaison), le constat est sans appel : trop de lacunes, trop d'erreurs et d'inexactitudes se répandent sur le web. A tel point qu'il n'est pas impossible qu'il s'agisse d'une stratégie concertée plutôt que d'un concours de circonstances. Dès lors, ne serait-il pas opportun de lire dans ces marquages successifs les signes précurseurs d'un remplacement programmatique de civilisation ? A moins qu'on ne préfère employer un terme qu'on croyait définitivement passé de mode, celui de rééducation de masse.
 
A méditer et à tester en faisant quelques recherches pointues sur Google.