20 novembre 2014

L'expertise des funambules

 
Nous avons ces jours-ci le curieux privilège d'assister à la disparition d'un monde, d'une civilisation se diluant sous nos yeux vaguement incrédules en un épisode transitoire qui cherche encore un nom et une forme, ce que tout un chacun peut ressentir à sa manière dans son vécu intime et selon ses propres critères de jugement.
 

 
 

Et puis bien sûr, il y a les spécialistes. Ceux qui ne doutent de rien, jamais ... Ceux-là n'hésitent pas à ouvrir la porte du futur et vous font visiter les nouveaux locaux : ce sont en quelque sorte des agents immobiliers qui vous vendent de l'espace vide, avant travaux. Pour simplifier, nous les qualifierons ici de caste technomédiatique.
 
Ces gens sont de véritables artistes, il faut bien le reconnaître. Ils n'hésitent pas à mouiller la chemise ni à descendre dans l'arène télévisuelle pour dérouler leur scénario et délivrer leurs ordonnances et autres oukases. Ce qui les dessert pourtant sur le moyen terme, c'est bien leur assurance qui finit par être contreproductive.
 
Résumons le processus : d'abord vous voyez les gars à la télé, vous vous dîtes ok, là ils nous parlent de nouveautés toutes fraîches, mais peut-être ont-ils déjà puissamment étudié la question en profondeur, sous tous les angles. Vous vous dîtes une telle maîtrise du sujet, une pareille aisance à disserter de phénomènes émergents ne peuvent pas être contrefaites. Et puis, à tête reposée et hors de l'emprise télévisuelle, vous vous mettez à réfléchir. Puisque les thèmes abordés sont réputés inexplorés car trop récents, comment se fait-ils que ces experts technomédiatiques soient déjà si bien documentés et semblent tellement sûrs de leur fait ?

Puis la réponse vous arrive subitement en spirale, comme la trace d'un ancien souvenir : autoréférence. La grande affaire philosophique de Fichte ! S'agit-il dans ce cas d'une problématique épistémologique ou d'une occurrence ontologique ? D'une contrebande maffieuse d'informations ou de la fabrication d'une conspiration en direct live ? Peut-être d'une stratégie globale de désinformation visant à promouvoir un certain ordre mondial et culturel ?

Autrement dit, les allégations de nos spécialistes sur les nouveaux mondes virtuels et autres variations similaires relèvent-elles d'une réalité communément observable ou sont-elles plutôt des constructions de l'esprit ? Nous penchons évidemment vers cette dernière option, tout en n'ignorant pas que tôt ou tard, les constructions de l'esprit se font visibles à l'œil nu.




Illustration

Edith Waddell, Los Angeles
Transcendental Carrousel
Acrylic on Canvas



 
 
 
 

23 octobre 2014

In abstracto



"L'intellection est une opération absolue, qui n'a rien à faire de l'existence ou de la non-existence d'une chose, et qui consiste à appréhender la chose même ou sa quiddité."
 Matteo d'Aquasparta, Questions disputées sur la foi et la cognition, 13ème siècle

 
 Il y a des occasions où il convient de laisser couler son intuition sans essayer de la retenir. Particulièrement lorsqu'il s'agit d'appréhender des situations complexes ou de décrypter les ambiguïtés d'un discours. L'éducation moderne ne prépare plus l'intellect à ce type d'éventualités mais se satisfait en revanche de modéliser des caricatures thématiques, lesquelles simulations présentées comme scientifiques, seraient supposées représenter des situations réelles. Oui, réelles dans la vraie réalité ...

Le pseudo esprit rationnel, cette maladie chronique propre à l'occident donneur de leçons, a déjà causé de trop nombreux ravages dont le moindre n'est pas dans cet effort constant visant à dévaloriser la démarche théorétique ou les activités considérées comme étant purement intellectuelles.

Sous d'autres cieux et d'autres régimes, le poète ou le philosophe ont pu être honorés au même titre que l'empereur. Quant au sage assis tranquillement sur son séant à méditer, il n'était pas immédiatement suspecté d'être un fainéant qui rechigne à la tâche. Encore aujourd'hui, dans certains pays asiatiques réputés parmi les plus compétitifs, des familles modernes et cultivées s'honorent d'envoyer leurs adolescents les plus prometteurs faire un stage de quelques mois dans un monastère bouddhiste. Non pas pour y être instruits d'une quelconque religion, mais pour y apprendre les arts subtils de l'esprit ...

Mais la mode est aujourd'hui au démantèlement cognitif intensif et au moins disant culturel. Le nouveau système connectiviste met en ce moment même la dernière touche à l'entreprise d'assignation à résidence visant à nous empêcher d'évoluer librement dans le champ d'abstraction. Voyez et vérifiez donc par vous-même : déjà internet vous rend moins sûrs de vos souvenirs et sabote vos rêves à la racine. Vous n'avez même pas fini de taper vos instructions de recherche sur un moteur, que déjà s'allonge une liste censée prévenir tous vos desiderata. Mais surtout à vous couper l'herbe sous les pieds. C'est affligeant. Si l'on entend nous priver du plaisir même de formuler nos requêtes lexicales, que nous restera-t-il bientôt comme espace d'autonomie mentale ?
 
 




Illustration :

Rizières de montagne
Lyette Kyny Asie du Sud-Est
 

 

20 octobre 2014

Ou marcher dans le vide


Très jeune déjà on juge indispensable de s'installer dans les cercles connectés pour s'y creuser une petite niche. Et puis, à force de rentre-dedans et de tweets à la chaîne, on pourrait même envisager d'acquérir une certaine surface, commencer à gonfler la voilure et se forger une e-réputation. Parce que maintenant on ne raisonne plus qu'en termes de plateforme, il faudrait donc toujours à la pensée un logis, une adresse. Mauvais pli, l'affaire est mal engagée.

Il convient de le dire et de le répéter aussi souvent que nécessaire, la pensée n'a pas de localisation. Phénomène quantique par excellence, la pensée n'a pas vocation à stationner dans les situations ni même à la jonction des théorèmes, fussent-ils métaphysiques. La pensée n'excelle qu'à planer où bon lui semble, voler en une nanoseconde d'un bout à l'autre de l'éternité ou encore et tout simplement, marcher dans le vide.

La pensée opère toujours à la marge, dans l'intervalle subtil entre les vagues d'énergie, tout affichage sémantique n'étant en somme que le signal formel d'un processus réussi à l'instar du lumineux clignotement des étoiles lointaines. Alors quand la politique du nouveau web consiste à vouloir nous assigner à résidence, sans doute pour tenter d'enchaîner la pensée à d'influents circuits algorithmiques de prescription sociétale et idéologique, il s'agit de lui tirer l'échelle sans l'ombre d'une hésitation.

Les nouveaux parcs à thèmes proposés dans l'espace numérique laissent déjà entrevoir leur véritable destination, qui est le formatage d'une clientèle captive. Si les programmes en cours, comme tous ceux qui les ont précédés, nous paraissent à nous autres béotiens résulter de connaissances technologiques extrêmement sophistiquées, il n'en n'est généralement rien : leurres pour la pensée et marketing de masse. Ah! le puissant susurrement des mots magiques : cloud computing, crowd sourcing et autres e-tutoring. Le caractère culture populaire et bon enfant d'injonctions subliminales, du style : "Voyez comment nous, des geeks extraterrestres surdoués, prenons sur notre agenda déjà hyperbooké pour vous expliquer patiemment comment vous aussi pouvez développer votre intelligence".

Oui, bien sûr, mais non sans façon ! Poliment mais fermement. Sous prétexte d'être en phase d'apprentissage, on n'est pas obligé de tomber tête baissée dans tous les panneaux, car la démonstration est toujours à refaire même si la mémoire garde les empreintes d'expériences antérieures réussies. Les anciennes générations connaissaient le luxe de l'ennui mais aussi la liberté d'utiliser l'intellect à leur guise. De nos jours, c'est la pensée elle-même qui se trouve être l'enjeu de manœuvres organisées visant sinon à la domestiquer, du moins à la conditionner.

Penser à penser est déjà une forme de sauvegarde. En outre, s'exercer régulièrement à "penser dans le vide" est un bon entraînement de combat. Par ces temps qui s'annoncent troublés, mieux vaut éviter de se rendre trop dépendant d'artifices extérieurs si l'on tient à garder une certaine vivacité d'esprit et un semblant d'autonomie de jugement.


 

15 octobre 2014

La vie monacale du commentateur de weblog


Il n'y a pas d'heure pour les braves.

La journée de l'impétrant commence bien avant l'aube mais déjà dans le calme et la concentration les plus propices à ses activités scripturales. Il s'agit d'abord de s'assurer qu'aucun commentaire posté sur son blog préféré durant ses quelques heures de sommeil n'ait pu échapper à sa vigilance. Fébrilement, il passe en revue les interventions de la veille et ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire à la lecture de quelques mémorables passes d'armes dont il était parfois l'instigateur, sinon l'acteur. Le plus dur étant ensuite de tromper ce temps qui s'étire interminablement jusqu'au très attendu prêche matinal, qui lui tient lieu de nourriture spirituelle quotidienne autant que de prétexte à développer son propre génie rédactionnel.
 
Les divers travaux pratiques sont exécutés rapidement et en silence : toilette, collation matinale, ménage seront aussi expéditifs que superficiels. Sachant que l''activité principale d'un commentateur est essentiellement de commenter les commentaires plus que le sermon lui-même, (habilement arrangé autour d'un flou hagiographique du meilleur effet), il se doit d'être au mieux de sa forme et d'une vigilance à toute épreuve. Il lui est donc permis de consommer d'innombrables mugs de café fort ou pour les monastères les mieux dotés, des espressi en capsule "what else".
 
Ne pas s'imaginer cependant qu'il règne ici une ambiance de  franche camaraderie. Les autres frères-commentateurs réguliers sont en réalité des concurrents féroces plus que des collègues. Dans cet univers complètement dingue relooké aux couleurs du numeric-age, les moines ne sont plus des copistes mais des contributeurs à part entière. Dans la mesure où leurs interventions sont conséquentes et bien tournées, elles peuvent en effet contribuer à la réputation d'un blog tout autant que la qualité et la persévérance de l'auteur lui-même.

Le commentaire de weblog est néanmoins un genre littéraire éphémère et délicat qui tient plus du haïku japonais que de l'analyse critique. Qui se souvient en effet des perles d'avant-hier ... sinon leur propre rédacteur. Lequel se lève parfois nuitamment pour relire et savourer ses propres tournures et trouvailles, si peu mises en valeur par le défilé incessant des réparties qui se veulent plus spirituelles les unes que les autres.

La vie monacale du commentateur est ainsi faite de solitude, de frustrations et de petites joies. On entend parfois l'un ou l'autre pouffer dans sa manche pendant l'homélie introductive. Mais surtout, dès la messe dite, on les voit tous se précipiter sur l'encyclopédique Google pour y quérir l'indispensable matériel documentaire afin de resplendir comme un astre pendant quelques minutes exaltantes.







 
 

10 octobre 2014

Ceux qui scrutent les profondeurs



Subjuguée par le paradigme accrocheur et combien esthétique de fluctuation, notre époque en est venue à perdre tous ses repères. On sait à quel point l'apologie du changement représente de nos jours un argument de vente subliminal, porteur des promesses les plus fallacieuses et les plus vides de sens. Or à l'usage, le "syndrome du perpétuel fluctuant" se révèle n'être qu'une simplification paresseuse qui évite à la pensée d'avoir à se confronter à la notion de profondeur du champ. C'est typiquement la déformation de ceux qui ne raisonnent plus que par l'intermédiaire d'un écran : tout devient plat, lisse, laminaire, tout glisse. De temps en temps, il faut juste se souvenir d'avoir à exécuter une petite mise à jour, sinon tout se disloque ...

Bien entendu, on a tenté de nous refaire à ce propos le coup désormais classique de la philosophie extrême-orientale expliquée aux nuls. Les indispensables professeurs en sinologie et autres spécialistes du prêt-à-penser à l'intention du grand public ont doctement tenté de nous faire accroire qu'en chinois, penser signifie fluctuer. Comme les cours de la bourse, donc. Plus prosaïquement, il se trouve que le programme connectiviste est aujourd'hui en mesure d'accaparer et de brouiller l'espace mental avec ses lignes d'horizon enchevêtrées, tout en procurant l'illusion d'une gestion orchestrale de l'information (quel type d'information ?). La pensée se perd dans cette opacité du pléthorique, dans le contexte grouillant d'une multiplicité idéographique, mise en scène comme étant encyclopédique. Les critères de pertinence n'ont plus vraiment de sens ici ni de valeur, puisque toute phrase en vaut une autre. Le prétendu réservoir du savoir humain que serait internet n'est qu'un leurre pour la mémoire, tout ici se désagrège comme les châteaux de sable. L'addition de bribes documentaires hétérogènes ne fait pas une histoire.

Le fond de l'affaire (si l'on ose dire) est qu'en noétique, il n'existe pas de fluctuation, il n'y a que des paliers d'abstraction qui courent jusqu'à l'infini. C'est pourquoi la pensée ne peut que s'orienter spontanément vers l'espace des profondeurs, l'espace métaphysique ...





Illustration

"Vue de Tsukuda au clair de lune avec Dame au balcon "
de Utagawa Hiroshige





 

5 octobre 2014

Internet et l'inhibition de la pensée théorique


L'attraction cognitive exercée par le web et ses extensions mobiles n'a pas encore fait l'objet d'études approfondies, bien qu'on puisse déjà en déduire de manière intuitive certains effets secondaires des plus délétères. Notamment sur les jeunes générations, qui ne connaissent souvent en matière de gymnastique de l'esprit que le clic compulsif sur un lien hypertexte.
 
Le réflexe fort répandu qui consiste à prendre pour argent comptant tout ce qui est écrit noir sur blanc est en constante progression, malgré la soi-disant émergence d'une culture de la conspiration. La rencontre d'un cerveau et d'un monde virtuel offrant des ressources réputées inépuisables n'a pourtant aucune analogie avec la recherche d'un ouvrage dans une bibliothèque ou une librairie : ici, tout défile dans une fluctuation permanente qui n'est que miroitements de surface, le but étant visiblement de retenir l'internaute dans l'arène textuelle. Il s'agit donc de réaliser (et le plus tôt sera le mieux) que dans ce contexte le concept même de référence devient inopérant, car le processus du copier-coller entraîne des imbrications en chaîne à des niveaux si subtils qu'elles sont quasiment impossibles à détecter, même pour un robot.
 
Théoriser le web n'est donc possible qu'en mettant le système en perspective, ce qui suppose d'être encore en mesure de pouvoir s'en distancier. Dès lors comment attendre cela d'une génération qui n'a connu comme répertoire culturel que des données glanées sur divers sites et comme seule autorité professorale Wikipédia, où des bénévoles anonymes dont on ne connaîtra pas le degré d'érudition ni de neutralité composent et décomposent les articles au fil du temps !

Et pourtant il faudra bien sortir du cercle magique pour réfléchir et se donner une chance de définir ces nouvelles expériences cognitives et intellectuelles. Cela demande une indéniable forme de courage et osons le terme, un véritable saut dans le vide. Ce qui n'a rien d'anecdotique quand on songe qu'il paraît déjà incongru à certains d'envisager de remettre en cause les nouvelles procédures invasives que les grands opérateurs du web sont en train de mettre en place dans une passivité quasi générale ...

 
 
 
  

2 octobre 2014

Brouillage mental : les maîtres du puzzle



Le modèle connectiviste semblait devoir apporter une ouverture sur le monde, de même qu'une optimisation radicale des standards de l'information. Après quelques années d'internet à haut débit, on voit déjà qu'il n'en est rien. Bien au contraire, on constate que l'utilisateur compulsif des plateformes de connexion vit dans un univers parallèle qui est en vérité une sorte de brouillard opacifiant et neutralisant. Le surfeur ne "ride" pas, il est juste manipulé.

Il faut savoir que dans cette dimension l'information n'est qu'un leurre, une valeur d'ajustement qui dépend de critères fluctuants et parfois assez ésotériques. Les moteurs de recherche ne font d'ailleurs guère mystère du fait que les résultats de recherche placés en tête de liste correspondent plus à des créneaux commerciaux qu'à des bases objectives ou scientifiques. Pour le reste, il suffira de prendre pour exemple quelques uns de ces weblogs à l'aspect sobre et discret, généralement consacrés à des thèmes d'ordre politique, économique ou artistique. Certains d'entre eux offrent une véritable tribune ouverte aux lecteurs, lesquels ne se privent pas d'y exercer leur talent critique ni d'apporter quelque grain à moudre à ce moulin. En apparence, les commentaires s'alignent sagement les uns derrière les autres selon leur ordre d'arrivée, délivrant leur portion congrue d'information-désinformation. A y regarder de plus près on s'aperçoit avec stupeur que les interventions sont déplacées, décontextualisées puis recasées selon le bon plaisir du webmaster.

Dès lors on comprend bien que tout message peut être recyclé dans une nouvelle configuration, voire dans un sens très différent. Le  magicien qui sommeille en chaque créateur de blog sait bien être attentif aux signes les plus subtils et aux indices de transformation. Il ne se prive donc pas de brasser et rassembler les morceaux du puzzle qu'il compose et recompose avec la patience tranquille que seule peut conférer l'extraterritorialité du web.

A l'occasion on aura donc tout le loisir d'assister, médusé, à un détournement sémantique des propos des internautes sous la direction d'un chef d'orchestre invisible mais omniprésent. Les fils des commentaires sont savamment détricotés puis réarrangés, donnant une nouvelle tonalité à l'ensemble. Au final et si l'auteur du blog est un geek un peu artiste, on peut assister à l'émergence d'une symphonie harmonieuse où les propos épars des uns et des autres sont imbriqués dans un jeu de rôles quasi scénarisé. Les intervenants extérieurs ne sont au final que des pions circulant à leur insu sur le plateau d'un jeu complexe, à niveaux multiformes.


 

27 septembre 2014

Dans le nuage d'astéroïdes du web


 
En retrait des grands sites médiatiques et du trafic mainstream, il y a toute une zone inexplorée qui n'est cartographiée nulle part. Des blogs de taille et de qualité diverse y flottent à la dérive, selon le bon plaisir de leur capitaine. Dans une pénombre propice fleurissent des tavernes louches et des vaisseaux-fantômes, des pirates y fomentent leurs prochains raids. On y trouve des mondes gelés où hibernent des meutes de loups et des ruines par milliers. Des sites archéologiques tournoyant dans le silence profond de l'inter-espace et des weblogs délaissés sans la moindre explication ni trace de leur auteur, comme les sites maya abandonnés en plein jour sans aucune raison apparente. Il faut avoir connu ces excursions en solitaire dans le no man's land pour être digne de s'appeler internaute.
 
Atterrir sur un de ces petits mondes n'est pas partie gagnée. On peut en effet s'attendre à ce que le seigneur local soit entouré d'une escorte peu encline à l'ouverture et qu'une possible confrontation tourne rapidement au désavantage du visiteur inexpérimenté. Comme dans tous les coins reculés, il vaut mieux débarquer avec quelques babioles en poche et savoir distribuer à bon escient sourires et flatteries. Ici rien n'est stable, la moindre entrée en matière peut être mal interprétée. Dans certains cas de blogs à caractère, les usages locaux sont si subtils et difficiles à cerner qu'il vaut mieux se contenter au début d'observer sans révéler sa présence, même si ne pas se précipiter pour poster un commentaire peut relever du supplice chinois. Louvoyer dans ce monde parallèle n'est décidément pas à la portée du surfeur du dimanche. 
 
Mais il y a aussi des havres bienveillants où les moineaux viennent picorer, des cours de récréation pleines de rires et de bousculades.  Quand bien même nous avons un faible pour ces calmes monastères où l'on peut étudier l'infini dans la proximité d'une végétation luxuriante, nous raffolons aussi traîner dans les brocantes où il y a des secrets à chiner. De drôles de vaisseaux conduits par de drôles d'oiseaux passent au large, j'aborde souvent cette goélette dont le capitaine porte haut-de-forme et masque à gaz comme pour inscrire à jamais sa légende dans les strates profondes du web.

A croiser longuement dans la ceinture d'astéroïdes, on tombe parfois sur des mondes sublimes à couper le souffle et dont immédiatement on voudrait partager la localisation avec d'autres navigateurs. C'est généralement peine perdue car toute tentative de triangulation échoue : un miracle reste un miracle.
 

25 septembre 2014

Comment H16 transforme les glissements de réalité


Le site Hashtable est l'un de ces planétoïdes tournant à la périphérie du web connu dont il est question au chapitre précédent et H16 en est le seigneur et maître. Quotidiennement, il s'occupe de son univers-jardin avec patience et abnégation sauf le dimanche quand les autres déités se reposent aussi.
 
Tous les jours donc, H16 fait naître l'illusion à partir de zéro, une nouvelle insignifiante, une anticipation calculée, un pari fou : il jette un titre d'article sur la table comme on lance les dés et le charme commence à opérer. D'abord le prêche du haut de la chaire, toujours captivant et en apparence bien documenté. Le ton est magistral et assuré, le public est d'ores et déjà sous influence. En magicien de l'art, il dessine une ambiance, campant un environnement imaginaire puis se met à le saupoudrer de doute. Il insiste, fouille dans les recoins, chacun se sent directement concerné : "oui, c'est bien moi. Mea culpa, maxima culpa !" Commence alors l'interminable cortège des pénitents venant détailler leurs méfaits, leurs craintes et leurs espoirs. Les confessions durent jusqu'à ce que le sommeil gagne les plus bavards. H16 fait alors une dernière inspection des lieux, ramasse les bouts de rêve qui traînent encore puis éteint les lumières.
 
La qualité d'un maître se vérifie toujours à l'aune des plus humbles de ses disciples. Pendant la longue litanie des commentaires, le gourou n'est jamais bien loin qui veille à la discipline de son petit monde. Une sèche remontrance par ci, une bienveillance par là et plus loin, un éclairage sur un point de doctrine. Car ce micro-univers n'est pas seulement un biotope idéal pour blogueurs compulsifs, c'est aussi l'expérience en direct d'un système de pensée qui s'autorise l'autonomie. H16 est en effet un jardinier d'un genre spécial : il cultive l'entre-soi. Ses disciples viennent de loin pour lui rendre hommage. Pouvoir déposer chaque jour sa modeste contribution est ici clairement un privilège en même temps qu'une forme de consécration. L'excellence littéraire, la culture et le trait d'esprit sont de rigueur, même s'il règne parfois une certaine atmosphère canaille. Les envieux et les timides tournent autour du blog sans oser y pénétrer, se contentant de humer la ferveur intellectuelle qui anime ce petit monde perdu dans l'espace mais se suffisant à lui-même, régi par la seule volonté de son inspirateur et créateur, soutenu par ses fidèles commentateurs-courtisans.


 
 
Toutefois, l'ombre d'un soupçon traverse parfois l'esprit : se pourrait-il que ce blog soit en réalité une sorte de jardin d'enfants hyperdoués ? Y sévit par exemple un certain Calvin, dont on ne sait s'il a douze ou cent douze ans ... Auquel cas H16 serait une nounou sophistiquée, chargée de garder les précieux bambins de 9:00 heures à 22:00 heures. On sent en effet que le rythme des contributions s'étiole autour des 16:00 heures, pause sacrée du goûter comme chacun saît !

 

Le fin mot de l'histoire est sans doute que la table d'inversion des coups (hashtable) permet de se glisser indemne entre les séquences de réalité, en admettant que celles-ci soient de nature purement fictionnelles.

 
 
 
Illustrations
 
1. Le torrent aux ours : The Chalk Guy, dessinateur de rue US
2. Plan de ville dans un cirque de montagne : Hatsusaburo Yoshida
   (Google doodle)
 
 
 
 

6 septembre 2014

Un blog si tranquille

 
Un bon conseil : quand vous partez en excursion sur le web et croisez sur votre chemin d'humbles weblogs à l'aspect anodin, presque invisibles dans le bocage virtuel, sachez que les apparences peuvent être trompeuses. Le cachet d'amateurisme et la modestie de l'installation peuvent parfois réserver d'étranges surprises.
 
Pas de quoi paniquer non plus, mais il sera toujours préférable de garder à l'esprit qu'une bonne théorie de réserve vaut mieux que pas de théorie du tout ! Et il faut savoir qu'aujourd'hui c'est précisément dans ces lieux secrets que peut s'élaborer le monde de demain. Eh! oui, ce que vous aviez pris pour une cabane de jardin est peut-être un refuge intellectuel où de nouveaux paradigmes sont en cours de création. A moins que des agents au service d'une puissance inconnue n'aient choisi ce mode d'emprise sur l'esprit des internautes trop crédules. Qui donc irait se méfier d'un petit ermitage perdu au milieu des forêts du web ?
 
Pour en avoir le cœur net, rien ne vaut une analyse approfondie des commentaires liés aux articles d'un blog. Ici encore, pas de règles générales, mais du feeling, de la psychologie (et si possible un bon bagage de culture générale). N'oublions pas que dans certains blogs parmi les plus fréquentés, c'est l'un des commentateurs réguliers qui est le véritable patron du bar. Celui qui brille dans les débats pendant que l'auteur présumé se coltine le boulot rédactionnel ! Par ailleurs, un nombre très élevé de commentaires est typiquement l'indicateur qui permet de supputer qu'un blog est téléguidé de l'extérieur. Mais l'absence de commentaires est tout aussi sujette à caution, car cela laisse supposer que le blog en question se positionne dans un rôle d'observatoire, voire d'arbitrage. Inquiétant. Peu de commentaires mais pointus laissent à penser que les intervenants se la jouent "au-dessus" de nos têtes, entre initiés. Il pourrait donc bien s'agir là encore d'un leurre, un blog de combat déguisé en petit blog inoffensif !
 
Bref, il n'est jamais trop tard pour se poser les bonnes questions ...
 
 

29 août 2014

La véritable nature du net par l'erreur 503


Il vous est sans doute déjà arrivé de vouloir consulter une page familière, ou d'apporter quelque modification à votre site pour tomber inopinément sur une porte close : l'erreur 503 nous explose à la figure, indiquant que le serveur est momentanément inapte à traiter notre requête HTTP.
 
Et voilà ! pressé ou pas pressé, ce sera donc l'angoisse du vide et la solitude au large de l'hypertexte. Face à l'insolent déni de service il n'existe aucun moyen de négocier un protocole de transfert, le serveur étant où bon lui semble, dans les nuages ou peut-être sous le niveau de la mer ... avec nos inestimables données personnelles.
 
C'est ici que devrait normalement s'allumer en nous une petite lueur de vigilance, sinon de paranoïa. Après tout, depuis combien d'années sommes-nous ainsi conditionnés à déposer en ligne nos biens les plus précieux (souvenirs, photos, échanges, courrier, commerce, œuvres artistiques, etc...) ? Pourquoi devrions-nous ainsi nous délester sur le net de tout ce qui remplit nos vies, des conversations de bar aux grandes questions philosophiques ? Qu'est-ce qui nous pousse à monter dans ce train comme du bétail qu'on pousse dans les wagons, par centaines, par milliers. Toujours plus d'adeptes - et moins de services de la part des opérateurs, l'aurez-vous aussi remarqué ?
 
En vérité, la nature du Net est cryptographique, dans le sens où il s'agit d'une trame à résonances multiples. Comme toutes les trames (voir les toiles d'araignée), elle est composée de signes et de vide. Cette sémantique est grisante, vertigineuse et addictive. Nous en sommes tous les disciples plus ou moins consentants, bien qu'un peu naïfs. On voit pourtant se profiler déjà quelques signaux moins ludiques, des modifications dans les règles du jeu encore éparses et plutôt anodines. Des mots qui disparaissent, des livres qu'on copie, des auteurs qu'on oublie de citer, des citations que l'on falsifie comme à dessein ...
 
Contrairement à la légende, la recherche et la vérification des informations sont plus sujettes à caution que jamais. Pour des adultes cultivés d'âge mûr (qui disposent par conséquent de multiples points de comparaison), le constat est sans appel : trop de lacunes, trop d'erreurs et d'inexactitudes se répandent sur le web. A tel point qu'il n'est pas impossible qu'il s'agisse d'une stratégie concertée plutôt que d'un concours de circonstances. Dès lors, ne serait-il pas opportun de lire dans ces marquages successifs les signes précurseurs d'un remplacement programmatique de civilisation ? A moins qu'on ne préfère employer un terme qu'on croyait définitivement passé de mode, celui de rééducation de masse.
 
A méditer et à tester en faisant quelques recherches pointues sur Google.
 
 
 

22 août 2014

Le Web a-t-il une existence ?


Voici enfin un débat digne de la haute scolastique médiévale, spécialisée dans l'art subtil des prises de tête addictives. A force d'aller et venir sous les voûtes des cloîtres on devient forcément un peu métaphysicien, forcément. Et bien malin qui pourrait trancher la question au doigt levé, si ce n'est l'inévitable professeur Edgar Morin par ailleurs architecte autoproclamé de la pensée complexe !
 
En effet, ce n'est pas parce qu'un labyrinthe recèle des embranchements cachés voire occultes, qu'ils n'existent pas. D'un autre côté, on peut soutenir que tout ce qui ne parvient pas à éclosion dans la conscience n'a qu'un degré d'existence fictionnel. Comme on s'avise assez vite qu'il retourne d'un problème à niveaux et combinaisons multiples, il vaut mieux prendre les devants et choisir soigneusement son aire d'atterrissage si on ne veut pas se retrouver largué dans la stratosphère. Oublier les cloisonnements simplistes, à gauche le web existe, à droite il n'existe pas. C'est embêtant, mais pas fatal ...

Gardons à l'esprit que l'important c'est le cheminement, le glissement de nos sandales sur les dalles. Il n'est requis que de tourbillonner au travers de la matière, d'aller jusqu'aux confins et revenir sans même bouger d'ici. Toutes les issues sont ouvertes, mais vérifier quand même.

Déjà se faire une idée de l'affaire en cours en attendant une analyse plus fouillée, à temps perdu. Agenda surchargé en ce mois d'août torride, pas une minute à soi, actualité trépidante, boîte de mails qui déborde ...


 


 

19 août 2014

Séquence de la joie pure

Rien de spécial. Ce matin le ciel est voilé, il fait beaucoup trop frais pour un mois d'août.
 
Temps maussade et ruminations courantes. Assumer les habituels petits tracas physiologiques du réveil : uriner, déféquer, cracher, se moucher.. Et encore un café noir dans ma tasse à thé japonaise. Choses à faire qu'on repousse toujours au surlendemain puisqu'on se sent immortel.
 
Sans raison précise en cet instant naît la joie, joie profonde. Et cet instant dure. Se poursuit en tant que revenir de l'instant aussi bien qu'en tant que souvenir de l'instant qui revient. Joie pure de l'instant qui ne finit pas.
Deux heures plus tard, cette joie n'a toujours pas cessé. Ce ne sont pourtant pas les motifs de mauvaise humeur qui manquent, il y a toujours un petit bug quelque part pour nous casser  l'ambiance. Et pourtant la joie dure.
 
C'est donc une joie de nature métaphysique, qui n'est pas fondée sur des critères fluctuants ni sur des événements spécifiques. Une joie qu'on doit pouvoir aisément retrouver puisqu'elle s'installe pour toujours. Une fois qu'on a appris à nager, on saura toujours nager.
 
Ainsi donc,  joie parfaite à tous les êtres ...
 
 

 

 



18 août 2014

Du surf anonyme au fichage intégral

Il y a quelques années à peine, il était encore de bon ton de naviguer sur le net en toute discrétion, affublé de quelque pseudonyme héroïque comme Baroudeur et Moonrider, poético-symbolique comme Gardienne des runes, ou encore romantique comme Fleurbleue. Laisser apparaître son véritable patronyme était la preuve flagrante d'une irrécupérable ringardise. On se la jouait incognito pour le fun mais aussi pour le frisson, plus que par crainte de se faire détrousser par les voleurs de grand chemin. C'était la belle époque, le web était alors une forêt enchantée, un immense terrain de jeux ...

Mais la récréation est déjà finie, les paradigmes ont changé. Pour se connecter, il faut maintenant montrer patte blanche et livrer un maximum de données personnelles sous le prétexte fallacieux d'une protection plus efficace contre les méchants hackers et autres terroristes. Protection qui n'est finalement qu'une collecte de détails visant à cibler au plus près les goûts et couleurs des veaux, pardon des clients potentiels que nous sommes. En réalité, on voit bien comment on nous a appâté en nous promettant monts et merveilles. Nous avons déjà livré tous nos secrets à l'hydre tentaculaire et qu'avons-nous eu en échange ? De fausses informations, des coups montés de toute pièce, des sites aux stores baissés depuis belle lurette. De la poussière de mots et des algorithmes inexorables : les spiders des moteurs de recherche qui parcourent inlassablement les registres de la culture humaine pour la disperser par toutes petites bribes.

Vous je ne sais pas, mais moi j'aime bien les gros cahiers à spirales ...


 



17 août 2014

Chronique des confins

"Dans la vraie vie les faits divers n'ont ni commencement ni fin."
 Roger Grenier


Le culte de la rapidité a tendance à détourner la pensée contemporaine de toute idée de profondeur et de prolongement. Le monde devient alors une surface lisse, où tout glisse d'un bord à l'autre de la scène - en l'occurrence de l'écran. Entrée et sortie. L'envoûtement généré par les artefacts de communication informatique nous donne l'illusion habile de proximité et d'appréhension immédiate de notre environnement cognitif. Mais tout ça n'est en somme que du vent, du simulacre. Une sorte de décor qu'on nous demande de valider de façon répétitive, afin de mieux nous manipuler.
 
Osons enfin nous poser cette question : que nous reste-il vraiment au bout d'une heure de surf sur le web ? Les petits films amusants ou attendrissants sur YouTube, vus par l'ensemble de la planète connectée dans le temps utilitaire des vingt-quatre heures. Les alertes-fantôme et les nouvelles éphémères qui monopolisent tout l'espace mental, à défaut d'une réflexion autonome. Dans un tel contexte il n'y a plus guère de place pour le moindre développement théorique, sans même parler d'un début de méditation philosophique.
 
Si cet emploi du temps externalisé à outrance provoque une sorte de dépression généralisée, ce n'est pas parce que les nouvelles du monde ne sont guère réjouissantes, mais tout simplement parce que nous n'avons plus aucune familiarité avec la notion d'infini, ni même la simple perspective d'une vue d'ensemble. La recherche compulsive de l'instantanéité a massivement remplacé les constructions intellectuelles et les jeux conceptuels audacieux qui requièrent un temps long, des allers et retour, des nuances et des errements successifs.

En ce beau dimanche oisif laissons donc dériver librement notre pensée sur sa trajectoire favorite, celle qui n'a jamais de fin ...


 

 

16 août 2014

Ce qu'un moteur de recherches ne peut pas faire (même s'il est très malin)

Un moteur de recherches ne sait pas lire entre les lignes. Autrement dit, il est dépourvu de l'imagination et de la sensibilité qui lui permettraient d'extrapoler de manière non linéaire à partir des données dont il dispose.
 
Tout est là : c'est en effet le principe de non-linéarité qui permet de déterminer avec précision si une intelligence est humaine ou robotique. Les postures mentales faisant appel à la créativité artistique ou la faculté de théoriser sont typiquement des activités qui développent le saut conceptuel non-linéaire. Ce seuil critique où tout peut basculer dans un autre univers ...

Un second indice révélateur de l'intelligence dite artificielle peut être la régularité. Avez-vous déjà vu un robot faire la sieste au boulot ? Si par contre votre collègue Alcibiade arrive systématiquement en retard tous les lundis matin, méfiez-vous et prenez les devants. Faites-lui passer le test Google+. S'il commence à vous aligner toutes les niaiseries les plus communes et les concepts les plus infantiles, son compte est bon. Virez-le sans état d'âme, non sans avoir au préalable vidé sa mémoire plutôt deux fois qu'une.

Voilà qui est dit, mais il fallait le dire ...

 

14 août 2014

Un théoricien peut-il encore théoriser sans se doper aux sources du web ?

Pour toute intelligence, le fait de donner du sens aux événements implique d'avoir à plonger dans le vide de l'entre-deux pour effectuer des sauts théorétiques plus ou moins complexes. Ce qui veut dire entre autres choses, qu'il faut être capable de se replier dans les paysages de son propre esprit ... ne serait-ce que momentanément, pour aller y repêcher quelque citation ou quelque vague souvenir.
 
Or les nouvelles entités technomédiatiques font tout pour empêcher ces sauts cognitifs en proposant d'innombrables stratégies de distraction ou pire encore, des programmes de gestion de la pensée "clés en main". De fait, on constate déjà que les jeunes générations ont de la peine à rester simplement sans rien faire, à cogiter sans but précis. Leur attention est toujours en phase de captation, leur regard focalisé sur l'écran du smartphone, leurs pieds les entraînant mécaniquement vers un lieu déjà informé de leur arrivée.
 
Il est vrai qu'avec Google comme grand maître d'œuvre, on n'a pas fini de se faire des films.