28 juin 2015

Diversions programmatiques

 

Certains naïfs pensent que les mots sont les extensions naturelles des choses. Et par conséquent qu'un mot ne saurait exister que dans la mesure où il correspond à une réalité tangible, ou du moins généralement reconnue comme étant réelle.
C'est évidemment méconnaître le véritable processus des choses, selon lequel les mots précèdent l'apparition de l'objet. Ce dernier n'étant en définitive qu'une exemplification du mot.
 
 
 
Ainsi le terme relativement fourre-tout de programme. Nous avons là l'exemple typique du leurre sémantique parfait.
 
Quand on parle de programme, chacun a ses propres images qui viennent frapper l'imagination comme les embruns au large de Saint-Malo. Les musiciens verront alors défiler des programmes de concerts virtuoses et les professeurs rêveront de programmes scolaires à la profondeur machiavélique. Quant aux étudiants ils tentent, mais en vain, d'oublier jusqu'à l'existence même de ce mot ...
 
Et puis il y a ces étranges personnages que ce sont les informaticiens, enfermés dans la bulle magique qu'ils ont eux-mêmes contribué à développer. Ceux-là sont persuadés que le terme de programme n'existait pas avant que leur activité ne s'exerce sur la gamme des langages électroniques. Ils ne sont pas très loin de la vérité, tout en restant obstinément coincés dans leur bulle sans pouvoir s'en extraire. Toujours ils répètent le même circuit, qu'il ont si bien intégré qu'ils sont capables de le rejouer à l'aveugle sans comprendre par où et comment sortir de ce labyrinthe. Pris à leur propre piège, il n'arrivent plus à laisser courir librement leur imagination.
 
Sachons les encourager discrètement à se risquer au lâcher prise de sorte qu'ils puissent changer de niveau de jeu et se détendre enfin, comme tout un chacun. Dans une parfaite intégration du verbe et du sens.
 
 
 
 
 
 

15 juin 2015

La nasse des hypertextes

 

Aurons-nous eu raison de continuer à rêver, à théoriser et à inventer ?
De ne jamais nous satisfaire de ces portions congrues ni des versions préalablement expurgées qu'on nous propose à l'intersection des cheminements algorithmiques. Décidément ne pas nous résoudre à foncer tête baissée dans ces pièges néologiques...
 
 
 
 
Si le monde de demain devait se distribuer en damiers grillagés sous la férule d'un web omniprésent et nous assigner une place aussi définie qu'une cellule de moine, nous n'aurions probablement que la pensée privée comme seul espace d'autonomie.
 
A l'évidence, il n'est plus tout à fait du ressort de la science-fiction que d'envisager Internet comme le vecteur possible d'une mainmise globale sur la société. Internet dont les couveuses virtuelles commencent déjà à produire leurs effets : on voit poindre une nouvelle génération de technocrates nés hors-sol, modelée pour répondre à de nouveaux critères culturels et économiques. Des petits soldats décomplexés, habiles à recycler les anciennes données et à les déguiser sous un nouveau manteau. Les missionnaires chargés de répandre "urbi et orbi" cette nouvelle culture apatride et prétendument ludique (jusqu'à quand ?) qui mélange allégrement toutes les spécificités dans une joyeuse world food party. Plus de comptes à rendre à quiconque, plus de droits d'auteur, plus de références stables : on mélange le tout et on brasse bien !
 
Et c'est tous les jours que l'on peut constater, non sans quelque effarement, que les anciennes normes et valeurs sont jetées par-dessus bord, sans que rien de précis ne soit proposé en échange, sinon une bouillie culturelle peu appétissante. Ainsi, les bibliothèques se sont fait la malle, oups! pardon, se sont faites immatérielles, l'improbable Wikipédia prétend déjà remplacer à lui tout seul les encyclopédies, alors que les références bibliographiques deviennent des mythes quasi inatteignables.

Et combien pathétiques ces bouteilles à la mer qui dérivent sur les flancs de la baleine. Ces futures runes, ces milliers de blogs et de sites mis en orbite en attendant les archéologues du futur qui viendront déchiffrer les hiéroglyphes d'une civilisation disparue ...