27 février 2015

Tout vient à point


On n'y pense qu'assez rarement et le constat ne fait généralement que nous effleurer juste en passant. S'y arrêter trop longtemps serait comme effleurer un mystère ou surprendre un secret que nous n'aurions pas à connaître. Il apparaît pourtant avec évidence qu'il y a toujours quelque forme de perfection dans l'imperfection, une tonalité idéale jusque dans l'essai raté. Il y a toujours une échelle de secours qui se déroule sous nos pas, juste au moment critique. 
 
Lorsqu'on a traversé un tunnel et qu'on en ressort indemne de l'autre côté, on réalise soudain à quel point il était finalement confortable d'être assis dans le noir au milieu de nulle part, avec sa pensée comme seul bagage. Une plongée dans un milieu étrange et une sorte de confiance fondamentale qui nous préserve en toute circonstance.

Chaque situation se fond avec délicatesse dans une autre, juste le temps de faire quelque peu bouger les lignes et de placer quelques repères inédits. L'esprit s'applique méthodiquement à la construction d'une vaste trame mélodique, laissant comme un commentaire discret flotter à l'arrière-plan. Un sous-titrage sur lequel il devrait toujours être possible de revenir ultérieurement en cas de besoin. Une documentation clés en mains pour la mémoire, pour les vieux jours quand la vue baisse et où la seule lecture qui convienne encore est celle de l'autobiographie.

Sachant que l'espace n'est qu'une invention courante de l'esprit, on pourrait facilement se sentir à l'étroit ou ressentir quelque impression d'oppression. Curieusement, il n'en est rien. Dès que le besoin s'en fait sentir, le champ se libère et de nouvelles perspectives s'offrent à notre insatiable curiosité. De nouveaux problèmes physiques et métaphysiques affluent en requérant toute notre attention. Même en rêve, l'esprit tisse ses conjectures sans faire de pause, filant sans cesse des poèmes longs et des métaphores subtiles.

Quand donc prenons-nous le temps de faire une pause pour méditer en termes de gratitude ? Pour reconnaître enfin que tout cela n'est que pure merveille, rêve éveillé, conte de fées et parfaite félicité ...




Illustration :

Vladimir KUSH
"Cueillette de fruits"

 
 


20 février 2015

La construction de forteresses conceptuelles


Il existe dans tout système social une propension exagérée à la production névrotique de ce qu'on pourrait appeler des bastions conceptuels réservés. Le plus souvent cet exercice vise à instituer quelque nouveau dogme ou quelque manière biaisée de voir les choses. Mais plus généralement, le but de la manœuvre consiste très prosaïquement à couvrir des situations bancales qui perdurent sans trouver de solution, ou des scandales imminents qu'il s'agira de dissimuler le plus longtemps possible.
 
 
 
 
En gros, il s'agit de délimiter par simple principe d'autorité, certains seuils conceptuels à ne pas franchir. Ou encore d'instaurer des zones de non-dit, voilées d'une brume assez perverse de crainte et d'ignorance. C'est toujours une entreprise risquée, sachant que l'esprit adore fureter partout et surtout là où on lui dit de ne pas aller !

Prenons pour exemple récent le gouvernement français qui, soucieux de se dissocier au moins momentanément de ses mauvais résultats économiques, a délibérément choisi de mettre en scène à grand frais des thématiques sociales à connotation ethnico-religieuse. C'est avec une certaine théâtralité non dénuée de machiavélisme qu'il s'efforçait ainsi de récupérer à son profit les retombées des attentats terroristes de janvier et d'organiser un défilé très peu spontané sous le désormais célèbre slogan "Je suis Charlie". A cette occasion, certains mots furent lâchés à dessein dans les media, comme des grains disséminés dans un poulailler : islamisme, antisémitisme, jihad, alya, Israël, Syrie. Cette délicate campagne d'intoxication avait évidemment pour but de définir certaines affinités électives sans toutefois paraître stigmatiser trop directement l'une ou l'autre des parties. Plutôt que de faire progresser l'ensemble du problème dans le sens d'une recherche de solutions, il s'agissait en réalité de sanctuariser le débat. Ou plus concrètement encore, de le délégitimer.
 
Toujours est-il que la pensée, dans ses fluctuations, ne saurait se contenter de symboles aussi minimalistes surtout si d'entrée de jeu ils paraissent à l'évidence quelque peu déséquilibrés. L'exigence de l'esprit est d'aller toujours au-delà des limites supposées, bien au-delà même de toute formulation verbale. C'est fort mal en comprendre la nature subtile que de présumer que l'intellect allait s'arrêter net devant un concept préformaté, moulé à la louche et gracieusement distribué par tous les canaux médiatiques  !

Bien au contraire, les contorsions que le gouvernement s'inflige pour tenter de sanctuariser certaines problématiques ne font qu'attiser les soupçons et enfler les polémiques. D'autant que par la bouche même du premier ministre se profile déjà l'ombre de la censure ...







 
 
 

8 février 2015

Combler les manques


 
A contempler ces arbres qui habitent avec tant d'élégance et d'ingéniosité juste au-dessus de nulle part, il peut venir à l'idée que vivre c'est essentiellement combler des failles. Il serait donc question de faire ce qui n'a jamais été fait et d'inventer ce qui n'existe pas. Ou encore de penser l'impensé. Et ça c'est vraiment génial comme mission : activer des creux ontologiques.
 
 
 
 
On se retrouve dès lors avec l'objectif implicite de pallier à certaines carences et d'instruire des absences. Ou encore, de constater des lacunes. Et ce n'est pas l'ouvrage qui manque, si on veut bien regarder autour de soi. Non seulement cet objectif de comblement du vide est particulièrement stimulant, mais en plus il représente de quoi occuper une vie entière. Et même beaucoup plus, puisque bizarrement le non-être semble toujours plus abondant que l'être. Ah! côtoyer de profonds abîmes et s'avancer sans hésiter dans l'étrange inconnu.

Il faut donc beaucoup d'imagination pour vivre en pleine conscience, car à vrai dire rien n'est prescrit ni programmé par avance. Il s'agit d'inventer la mélodie à chaque instant tout en se contentant de l'orchestre d'amateurs qui est mis à notre disposition : les rafales désaccordées du vent sur les toits, le soleil qui n'est jamais là où il faudrait pour la photo et la nuit insaisissable. Ah! la nuit qui est toujours trop longue ou trop courte.

Toutefois de cette prodigieuse faculté créative dont nous bénéficions minute après minute découle nécessairement une forme de responsabilité philosophique qui devrait imprégner nos orientations et nos réflexions. La nature de l'enjeu est d'une grande noblesse : quand on a le pouvoir de meubler le vide, ne serait-ce que l'espace d'un instant, on peut aussi faire en sorte que le prochain geste soit juste et que la pensée soit belle, harmonieuse et bienfaisante ...