23 mai 2015

Profondeur de champ


A priori tout semblait normal. Rien à signaler à bâbord, ni à tribord. Tout paraissait baigner dans une conformité monotone ...
 
 
Et puis soudainement une feuille s'écarte, un nuage se déplace, un coup de vent modifie le paysage. Un oiseau passe au ras des branches en poussant un cri strident. Le réel vacille sur ses bases et s'invente de nouveaux alibis. Des cascades jaillissent d'on ne sait où pour rejoindre des lacs lointains et invisibles.

Mais là-dessus plane un épais silence radio. La société systémique globalisante, qui pourvoit à tous les besoins physiques et intellectuels de ses citoyens-cobayes a déjà prévu tous les cas de figure, tous les chapitres, sous-chapitres, amendements et addenda. Et pour ceux qui décidément ne peuvent pas se passer d'une certaine variété dans l'offre, il y aura toujours l'omniprésent Google. Qui sait si bien nous dégoûter de persévérer dans nos recherches, puisqu'il est télépathe et omniscient. Il lit déjà dans notre pensée la réponse que nous cherchons et que par conséquent, nous trouverons. (Vous aurez bien noté que l'on assimile ici Google à une entité personnifiée, puisque désormais il se penche par dessus notre épaule pour suivre en direct toutes nos opérations informatiques, guidant la main qui arme la souris).

Ce qu'on nous propose est donc cet univers linéaire, dont la seule complexité serait celle des algorithmes. Un monde plat et inhabitable, en quelque sorte.

Alors nous autres, simples rêveurs, poètes et métaphysiciens, ferons en sorte de passer outre cette ultime trahison technologique et sociétale. Nous déjouerons par tous les moyens que nous jugerons appropriés les diverses manœuvres visant au contrôle de nos activités intellectuelles et de la créativité subjective.

Levant les yeux de nos écrans, nous porterons notre attention sur le for intérieur, histoire de voir où nous en sommes. Et constaterons dès lors avec soulagement que d'autres dimensions sont toujours accessibles par la pensée et que nous savons encore comment les convoquer par une simple opération de l'esprit.



Illustration :

"Hardwood software" de Vladimir Kush.



 


7 mai 2015

En route pour les étoiles !

 



Mentalement, nous avons toujours le choix entre rester ou partir. Faire du surplace ou nous envoler pour voir le paysage sous un autre jour. Et cette faculté que nous avons tous est un pouvoir philosophique d'une grande vertu, qui devrait être enseigné aux enfants dès les petites classes.
 
Nous vivons en effet dans un monde où les producteurs et vendeurs en tout genre s'arrachent le privilège d'attirer notre attention et si possible, de la retenir. Notre pensée est encore le dernier bastion de liberté, alors même que le cerveau est déjà l'objet de diverses manipulations et expérimentations, menées notamment par l'industrie pharmaceutique et les medias. Sur le plan dit culturel, les addictions qui nous sont proposées ne manquent pas et nos comportements compulsifs en sont bien la preuve. Entre les séries télévisées à l'américaine et les forums internet, les petites habitudes deviennent vite des boulets. Les pensées tournent sur elles-mêmes comme dans un siphon et n'importe qui peut comprendre que ce n'est pas très sain.
 
Bien sûr, on ne répétera jamais assez aux sédentaires urbains qu'un bon bol d'air frais est la meilleure des thérapies contre l'hypnose des écrans mais c'est peine perdue : aujourd'hui, il pleut. Et dès demain, il fera trop chaud, gare à l'insolation ! Sans parler des allergies au pollen ... Non, tout cela est bien trop dangereux.
 
C'est pourquoi une pensée qui se respecte doit impérativement apprendre à ne pas faire trop cas du contexte environnant ou plutôt, à savoir s'en détacher ponctuellement et à volonté. Ceci ne signifie nullement qu'il ne faille pas se préoccuper et prendre soin de son environnement mais que pour ce faire, il convient au préalable d'être en mesure de penser de manière autonome.
 
On le sait bien, une pensée n'est efficace que si elle peut s'adapter rapidement à des circonstances insolites ou inhabituelles. L'explorateur n'hésitera donc pas à se contorsionner pour passer la nuit dans la petite hutte des pygmées qu'il étudie, parce qu'ils le valent bien ! Mais si jamais il leur venait l'idée saugrenue de saisir leur petites sarbacanes et d'envoyer quelques volées de fléchettes en direction de l'intrus, il s'agirait alors de déguerpir au plus vite, en gardant néanmoins à l'esprit toute la dignité scientifique de la situation. Et voir déjà défiler en pensée le chapitre qui sera consacré à cet épisode dans les futures biographies. Rester à la hauteur du sujet !
 
Bref, une pensée en bon état de marche c'est une pensée qui sait se faire son propre cinoche, tout en sachant que c'est du cinoche, bien que n'étant pas vraiment du cinoche ...