27 septembre 2014

Dans le nuage d'astéroïdes du web


 
En retrait des grands sites médiatiques et du trafic mainstream, il y a toute une zone inexplorée qui n'est cartographiée nulle part. Des blogs de taille et de qualité diverse y flottent à la dérive, selon le bon plaisir de leur capitaine. Dans une pénombre propice fleurissent des tavernes louches et des vaisseaux-fantômes, des pirates y fomentent leurs prochains raids. On y trouve des mondes gelés où hibernent des meutes de loups et des ruines par milliers. Des sites archéologiques tournoyant dans le silence profond de l'inter-espace et des weblogs délaissés sans la moindre explication ni trace de leur auteur, comme les sites maya abandonnés en plein jour sans aucune raison apparente. Il faut avoir connu ces excursions en solitaire dans le no man's land pour être digne de s'appeler internaute.
 
Atterrir sur un de ces petits mondes n'est pas partie gagnée. On peut en effet s'attendre à ce que le seigneur local soit entouré d'une escorte peu encline à l'ouverture et qu'une possible confrontation tourne rapidement au désavantage du visiteur inexpérimenté. Comme dans tous les coins reculés, il vaut mieux débarquer avec quelques babioles en poche et savoir distribuer à bon escient sourires et flatteries. Ici rien n'est stable, la moindre entrée en matière peut être mal interprétée. Dans certains cas de blogs à caractère, les usages locaux sont si subtils et difficiles à cerner qu'il vaut mieux se contenter au début d'observer sans révéler sa présence, même si ne pas se précipiter pour poster un commentaire peut relever du supplice chinois. Louvoyer dans ce monde parallèle n'est décidément pas à la portée du surfeur du dimanche. 
 
Mais il y a aussi des havres bienveillants où les moineaux viennent picorer, des cours de récréation pleines de rires et de bousculades.  Quand bien même nous avons un faible pour ces calmes monastères où l'on peut étudier l'infini dans la proximité d'une végétation luxuriante, nous raffolons aussi traîner dans les brocantes où il y a des secrets à chiner. De drôles de vaisseaux conduits par de drôles d'oiseaux passent au large, j'aborde souvent cette goélette dont le capitaine porte haut-de-forme et masque à gaz comme pour inscrire à jamais sa légende dans les strates profondes du web.

A croiser longuement dans la ceinture d'astéroïdes, on tombe parfois sur des mondes sublimes à couper le souffle et dont immédiatement on voudrait partager la localisation avec d'autres navigateurs. C'est généralement peine perdue car toute tentative de triangulation échoue : un miracle reste un miracle.
 

25 septembre 2014

Comment H16 transforme les glissements de réalité


Le site Hashtable est l'un de ces planétoïdes tournant à la périphérie du web connu dont il est question au chapitre précédent et H16 en est le seigneur et maître. Quotidiennement, il s'occupe de son univers-jardin avec patience et abnégation sauf le dimanche quand les autres déités se reposent aussi.
 
Tous les jours donc, H16 fait naître l'illusion à partir de zéro, une nouvelle insignifiante, une anticipation calculée, un pari fou : il jette un titre d'article sur la table comme on lance les dés et le charme commence à opérer. D'abord le prêche du haut de la chaire, toujours captivant et en apparence bien documenté. Le ton est magistral et assuré, le public est d'ores et déjà sous influence. En magicien de l'art, il dessine une ambiance, campant un environnement imaginaire puis se met à le saupoudrer de doute. Il insiste, fouille dans les recoins, chacun se sent directement concerné : "oui, c'est bien moi. Mea culpa, maxima culpa !" Commence alors l'interminable cortège des pénitents venant détailler leurs méfaits, leurs craintes et leurs espoirs. Les confessions durent jusqu'à ce que le sommeil gagne les plus bavards. H16 fait alors une dernière inspection des lieux, ramasse les bouts de rêve qui traînent encore puis éteint les lumières.
 
La qualité d'un maître se vérifie toujours à l'aune des plus humbles de ses disciples. Pendant la longue litanie des commentaires, le gourou n'est jamais bien loin qui veille à la discipline de son petit monde. Une sèche remontrance par ci, une bienveillance par là et plus loin, un éclairage sur un point de doctrine. Car ce micro-univers n'est pas seulement un biotope idéal pour blogueurs compulsifs, c'est aussi l'expérience en direct d'un système de pensée qui s'autorise l'autonomie. H16 est en effet un jardinier d'un genre spécial : il cultive l'entre-soi. Ses disciples viennent de loin pour lui rendre hommage. Pouvoir déposer chaque jour sa modeste contribution est ici clairement un privilège en même temps qu'une forme de consécration. L'excellence littéraire, la culture et le trait d'esprit sont de rigueur, même s'il règne parfois une certaine atmosphère canaille. Les envieux et les timides tournent autour du blog sans oser y pénétrer, se contentant de humer la ferveur intellectuelle qui anime ce petit monde perdu dans l'espace mais se suffisant à lui-même, régi par la seule volonté de son inspirateur et créateur, soutenu par ses fidèles commentateurs-courtisans.


 
 
Toutefois, l'ombre d'un soupçon traverse parfois l'esprit : se pourrait-il que ce blog soit en réalité une sorte de jardin d'enfants hyperdoués ? Y sévit par exemple un certain Calvin, dont on ne sait s'il a douze ou cent douze ans ... Auquel cas H16 serait une nounou sophistiquée, chargée de garder les précieux bambins de 9:00 heures à 22:00 heures. On sent en effet que le rythme des contributions s'étiole autour des 16:00 heures, pause sacrée du goûter comme chacun saît !

 

Le fin mot de l'histoire est sans doute que la table d'inversion des coups (hashtable) permet de se glisser indemne entre les séquences de réalité, en admettant que celles-ci soient de nature purement fictionnelles.

 
 
 
Illustrations
 
1. Le torrent aux ours : The Chalk Guy, dessinateur de rue US
2. Plan de ville dans un cirque de montagne : Hatsusaburo Yoshida
   (Google doodle)
 
 
 
 

6 septembre 2014

Un blog si tranquille

 
Un bon conseil : quand vous partez en excursion sur le web et croisez sur votre chemin d'humbles weblogs à l'aspect anodin, presque invisibles dans le bocage virtuel, sachez que les apparences peuvent être trompeuses. Le cachet d'amateurisme et la modestie de l'installation peuvent parfois réserver d'étranges surprises.
 
Pas de quoi paniquer non plus, mais il sera toujours préférable de garder à l'esprit qu'une bonne théorie de réserve vaut mieux que pas de théorie du tout ! Et il faut savoir qu'aujourd'hui c'est précisément dans ces lieux secrets que peut s'élaborer le monde de demain. Eh! oui, ce que vous aviez pris pour une cabane de jardin est peut-être un refuge intellectuel où de nouveaux paradigmes sont en cours de création. A moins que des agents au service d'une puissance inconnue n'aient choisi ce mode d'emprise sur l'esprit des internautes trop crédules. Qui donc irait se méfier d'un petit ermitage perdu au milieu des forêts du web ?
 
Pour en avoir le cœur net, rien ne vaut une analyse approfondie des commentaires liés aux articles d'un blog. Ici encore, pas de règles générales, mais du feeling, de la psychologie (et si possible un bon bagage de culture générale). N'oublions pas que dans certains blogs parmi les plus fréquentés, c'est l'un des commentateurs réguliers qui est le véritable patron du bar. Celui qui brille dans les débats pendant que l'auteur présumé se coltine le boulot rédactionnel ! Par ailleurs, un nombre très élevé de commentaires est typiquement l'indicateur qui permet de supputer qu'un blog est téléguidé de l'extérieur. Mais l'absence de commentaires est tout aussi sujette à caution, car cela laisse supposer que le blog en question se positionne dans un rôle d'observatoire, voire d'arbitrage. Inquiétant. Peu de commentaires mais pointus laissent à penser que les intervenants se la jouent "au-dessus" de nos têtes, entre initiés. Il pourrait donc bien s'agir là encore d'un leurre, un blog de combat déguisé en petit blog inoffensif !
 
Bref, il n'est jamais trop tard pour se poser les bonnes questions ...